<118>

CHAPITRE XVIII.

Le précepteur des tyrans ose assurer que les princes peuvent abuser le monde par leur dissimulation : c'est par où je dois commencer à le confondre.

On sait jusqu'à quel point le public est curieux; c'est un animal qui voit tout, qui entend tout, et qui divulgue tout ce qu'il a vu et ce qu'il a entendu. Si la curiosité de ce public examine la conduite des particuliers, c'est pour divertir son oisiveté; mais lorsqu'il juge du caractère des princes, c'est pour son propre intérêt. Aussi les princes sont-ils exposés plus que tous les autres hommes aux raisonnements et aux jugements du monde; ils sont comme les astres, contre lesquels un peuple d'astronomes a braqué ses secteurs à lunettes et ses astrolabes; les courtisans qui les observent font chaque jour leurs remarques; un geste, un coup d'œil, un regard les trahit,a et les peuples se rapprochent d'eux par des conjectures; en un mot, aussi peu que le soleil peut couvrir ses taches, aussi peu les grands princes peuvent-ils cacher leurs vices et le fond de leur caractère aux yeux de tant d'observateurs.

Quand même le masque de la dissimulation couvrirait pour un temps la difformité naturelle d'un prince, il ne se pourrait pourtant point qu'il gardât ce masque continuellement, et qu'il ne le levât quelquefois, ne fût-ce que pour respirer; et une occasion seule peut suffire pour contenter les curieux.


a Un seul mot, un soupir, un coup d'œil nous trahit.
     Voltaire. Œdipe, acte III, scène Ier.