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ÉLOGE DU PRINCE HENRI DE PRUSSE.1



Messieurs,

Si l'affliction est permise à un homme raisonnable, c'est sans doute quand il partage avec sa patrie et un peuple nombreux la douleur d'une perte irréparable. Bien loin que l'objet de la philosophie soit d'étouffer la nature en nous, elle se borne à régler et modérer les écarts des passions; en munissant le cœur du sage d'assez de fermeté pour soutenir l'infortune avec grandeur d'âme, elle le blâmerait, si, dans un engourdissement stupide, il voyait d'un œil insensible les pertes et les désastres de ses concitoyens. Me serait-il donc permis de demeurer seul insensible au funeste événement qui trouble la sérénité de vos jours, à la vue du spectacle lugubre qui vient de vous frapper, à ce triomphe de la mort qui s'élève des trophées de nos dépouilles, et qui s'applaudit de s'être immolé nos plus illustres têtes? Non, messieurs, mon silence serait criminel; il me doit être permis de mêler ma voix à celle de tant de citoyens vertueux qui déplorent la destinée d'un jeune prince que les dieux n'ont fait que montrer à la terre. De quelque côté que je tourne mes regards, je n'aperçois que des fronts abattus, des visages sombres, l'empreinte de la douleur, des ruisseaux de larmes qui coulent des yeux; je n'entends que des soupirs et des regrets étouffés par des sanglots. Ceci me rap-


1 Lu dans l'assemblée extraordinaire de l'Académie royale des sciences, le 30 décembre 1767.