<205>

X. RÉPONSE DE SA MAJESTÉ LE ROI DE PRUSSE A M. DE VILLIERS.

Du quartier général de Bautzen, le 11 décembre 1745.



Monsieur,

Je ne puis assez me louer de l'empressement et de l'activité que vous témoignez pour proposer des paroles de paix et d'accommodement au roi de Pologne. Autant que j'ai lieu d'être satisfait, monsieur, de votre conduite, autant suis-je étonné que vous par vos soins infatigables, et moi avec tant de modération et les avantages de la fortune, nous ne puissions fléchir l'esprit irréconciliable de la cour de Dresde.

J'avoue qu'il était difficile de prévoir qu'une cour qui se croit obligée d'abandonner sa capitale, voulût prescrire des lois dures, dans le temps qu'on lui demande sincèrement son amitié et la paix. Il dépendra du roi de Pologne de la faire toutes fois et quand il voudra. Je suis de mon côté les lois de la guerre; et je vous répète ce que je vous ai dit dans ma lettre précédente, que, du jour de la signature du traité par le roi de Pologne, on fera cesser les hostilités et les contributions ultérieures.

Si la fortune avait favorisé les armes de mes ennemis, je ne sais point si l'on se serait contenté de faire contribuer mon pays, et si l'on n'y aurait pas tout mis à feu et à sang, en me demandant le sacrifice de provinces entières. Après cela, vous avouerez que mon procédé est bien plus humain, et que, si j'ai eu le bon<206>heur de déranger les projets dangereux que les cours de Vienne et de Dresde avaient formés contre moi, je n'use en tout que des droits de la guerre, et comme c'en est l'usage par toute l'Europe. S'il est vrai que le roi de Pologne veut éviter la ruine de ses États héréditaires, il me semble que le moyen le plus sûr pour la prévenir, est d'accepter la paix que j'offre si cordialement à ce prince; car, sans haine et sans animosité particulière, tout le monde conviendra que quatre-vingt mille hommes dans un pays comme la Saxe, ne peuvent pas manquer de le ruiner à la longue.

Mes mains sont innocentes de tout le mal qui en arrivera, et j'en atteste le ciel, à la face de toute l'Europe, que, si le roi de Pologne persiste dans son irréconciliabilité, personne ne pourra trouver à redire que, de mon côté, je me porte aux plus grandes extrémités. Pour l'amour de l'humanité, monsieur, employez tous vos soins pour que deux maisons voisines ne s'entre-déchirent point. Soyez l'organe de mes sentiments, comme vous êtes le dépositaire de mes intérêts, et sauvez la Saxe de ses calamités présentes, et du dernier des malheurs qui la menace. Je suis etc.

P. S. Le comte de Podewils est ici depuis hier; il attendra encore pour voir s'il n'y aura pas moyen de porter le ministère saxon à des sentiments plus justes et plus équitables. Que le roi de Pologne profite donc de mes dispositions, et qu'il ne me pousse point à bout.

Je vous enverrai demain mes remarques sur le mémoire du comte de Brühl : vous en ferez l'usage que vous trouverez le plus convenable; et, en cas que vous les croyiez moins propres à radoucir les esprits qu'à les aigrir, il dépendra de vous de n'en point faire usage à la cour.

En attendant, je pars pour donner une nouvelle activité à mes opérations et pourvoir à mes propres sûretés, soit en écrasant mes ennemis, ou en les obligeant à faire une paix raisonnable. Quoi qu'il puisse arriver, j'aurai toujours beaucoup de reconnaissance pour vos bons procédés; et si je puis vous être utile à votre cour, j'emploierai chaudement tout mon crédit pour vous prouver que vous n'avez pas servi un ingrat.

Federic