55. A LA MÊME.

Ruppin, 31 mars 1738.



Ma très-chère sœur,

Pour cette fois, vous vous trompez, ma chère sœur; ce n'est point avec des auteurs morts ni pourris que je m'entretiens, c'est avec un auteur bien vivant; je lis à présent quelqu'un des nouveaux ouvrages de Voltaire, rempli de feu et de beautés. Je le quitte ce moment pour vous joindre et pour avoir le plaisir de m'entretenir avec vous. L'histoire du jour dont je pourrais vous amuser ne contient pas grand' chose, sinon une nouvelle fort intéressante pour les coiffeuses : c'est que le Roi a inventé une nouvelle forme de coiffure, qui consiste dans un grand pli qui vient s'appuyer sur le front, dont il fait comme la corniche. Celte mode de nouvelle date ne m'est connue que par ce qu'on m'en écrit de Berlin. On croirait que le Roi est bien désœuvré pour s'amuser <56>à de pareilles bagatelles; cependant il n'en est rien, et il travaille à ses affaires aussi assidûment qu'auparavant. Ce qu'il y a de plus nouveau après cette mode, c'est le voyage que je ferai à Potsdam pour les dévotions de cour.1_63-a Je compte de m'expédier dans peu : deux jours pour le bon Dieu et quelques jours pour le Roi, et les soirées pour la Reine. Je n'en sais, ma foi, pas davantage. Je vous laisse dans votre belle bibliothèque, où vous trouverez des amusements qui vaudront mille fois mes lettres; et quoique je vous quitte à regret, la raison me presse et m'oblige de ne point importuner une personne que j'estime trop pour vouloir lui être désagréable. Souffrez du moins que je vous réitère en peu de paroles les assurances de la parfaite tendresse et du sincère attachement avec lequel je suis, ma très-chère sœur, etc.


1_63-a Voyez t. XXI, p. 207 et 208.