12. A LA MÊME.

Hoff, 2 juillet 1734.



Ma très-chère sœur,

Enfin, me voilà arrivé à six lieues d'une chère sœur que j'aime, j'estime et j'honore plus que tout au monde; mais malgré le plaisir que j'ai de l'approcher de si près, j'ai le sensible chagrin de ne pouvoir peut-être pas seulement la voir, le Roi pressant notre départ plus que tout au monde, et ne voulant absolument pas que nous nous arrêtions. Pour cet effet, il a défendu expressément de ne passer ni Baireuth, ni Ansbach; cependant il m'a promis sûrement qu'à mon retour je passerais par Baireuth pour m'y arrêter quelque temps. Je n'ai jamais tant déploré le malheur de ne dépendre pas de soi-même qu'à présent, et quoique je risquerais le tout pour le tout quand il s'agit de vous rendre <14>mes respects, néanmoins je ne le suis pas en état cette fois-ci, le Roi n'étant que fort aigre-doux sur mon sujet, que je n'oserais hasarder la moindre chose, d'autant plus que de lundi qui vient en huit il sera à l'armée, où vous pouvez vous imaginer que je serais joliment traité, si je contrevenais à ses ordres. C'est donc avec le plus grand désespoir du monde que je suis obligé de côtoyer les endroits qui me deviennent précieux par rapport que vous y êtes. La Reine m'ordonne de vous faire mille amitiés de sa part. Elle a paru fort attendrie sur votre maladie, mais du reste il me serait impossible de vous garantir si cela est sincère ou non, car elle est totalement changée, et je n'y connais plus rien. Cela va si loin, qu'elle m'a nui autant qu'elle l'a pu chez le Roi; cependant elle est aussi raccommodée. Pour Sophie, elle n'est aussi plus la même, car elle approuve tout ce que la Reine dit et fait, et elle est charmée de son grand nigaud.1_16-a Le Roi est plus difficile que jamais; il n'est content de rien, jusqu'à avoir perdu tout ce qui se peut appeler reconnaissance pour les plaisirs qu'on lui peut faire. Pour sa santé, elle va un jour mieux, et l'autre plus mal; mais pour les jambes, elles lui sont toujours enflées. Jugez dans quelle joie je dois être de sortir de cette turpitude, car le Roi ne restera que quinze jours tout au plus au camp. Adieu, mon adorable sœur; je suis si las, que je n'en puis plus, étant parti la nuit du mardi au mercredi, à trois heures, d'un bal de Monbijou, et étant arrivé aujourd'hui vendredi à quatre heures du matin ici. Je me recommande dans l'honneur de votre gracieux souvenir, et pour moi, je suis jusqu'à ma mort, ma très-chère sœur, etc.


1_16-a Les fiançailles de la princesse Sophie avec le margrave Frédéric de Schwedt furent célébrées à Potsdam, le 16 avril 1734; les noces eurent lieu le 10 novembre suivant. Quant au margrave Frédéric, voyez t. V, p. 73, et t. XXVI, p. 636.