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282. A LA MÊME.

Ce 21 (novembre 1754).



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu avec bien du plaisir votre lettre datée de Lyon. Vous pouvez croire que l'article de votre santé a été ce qui m'a paru le plus intéressant; pourvu que l'air de Montpellier vous rende saine, je regarderai cette ville comme ma cité sainte, et je bénirai l'heureuse terre sur laquelle elle est assise. On me fait bien de l'honneur en France d'être prévenu favorablement sur mon sujet, et je gagne sûrement à n'y être point connu. Il n'y a que vous, ma chère sœur, qui puissiez faire illusion sur le frère. On s'imaginera que j'ai le bonheur de vous ressembler, et voilà ma réputation faite. Je ne doute pas que vous ne passiez votre temps très-agréablement, et que vous ne trouviez à vous amuser avec le caquet des vivants et avec les monuments des morts. La profonde vénération que l'on a pour les Romains fait qu'on regarde avec respect les débris et les ruines de leurs grands ouvrages, dont vous trouverez des restes dans toute la Provence, qui leur a appartenu si longtemps. Je ne m'étonne point de la scène que vous a donnée Voltaire;a je le reconnais à son introduction et à l'acte qu'il a joué. Son plus grand chagrin vient d'un procès qu'il a eu avec le duc de Würtemberg, auquel il a prêté cinquante mille écus.b Le Duc a trouvé le contrat usuraire; je crois qu'il lui relient les intérêts, et cela met le poëte dans la situation d'Harpagon qui crie à sa cassette.c C'est bien dommage qu'avec tant de talents ce fou soit si méchant et si tracassier; mais c'est une consolation pour les bêtes de voir qu'avec tant d'esprit souvent on n'en vaut pas mieux.

Je ne connais point l'évêque de Tournai que vous avez accompagné du clavecin; c'est peut-être dommage qu'il ne soit pas un Stefanino; il en chanterait une octave plus haut. J'ai entendu


a A Colmar. Peu après, Voltaire rencontra de nouveau la Margrave à Lyon. Voyez t. XX, p. 62, et t. XXIII, p. 6, no 333.

b Voyez t. XXIII, p. 435 et suivantes.

c L'Avare, par Molière, acte IV, scène VII.