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258. AU MÊME.

(Fin de novembre 1775.)



Mon très-cher frère,

Me voici sorti de mon quatorzième accès,a et j'espère à présent d'avoir défilé le chapelet des maux qui m'étaient échus en partage. Je prendrai toutes les précautions pour prévenir de nouvelles rechutes. Les Muzelliusb et les médecins de sa sorte sont trop grands seigneurs pour moi; ces esculapes ont une multitude de malades à Berlin, auxquels ils se doivent, et qui périraient, s'ils ne voyaient tous les jours l'oracle de la vie et de la mort dans leur chambre. Pour moi, mon cher frère, je me traite par un grand régime, et dans quelques jours je prendrai du quinquina pour redonner quelques forces à mes nerfs épuisés et à demi perclus. Je ferai ce que je pourrai pour me remettre un peu vers le 10 du mois prochain, pour être en état de vous recevoir, mon cher frère, hors du lit. Mais ce n'est que trop parler de ma chétive carcasse. Heureusement je n'ai guère de nouvelles à vous marquer. Voici le bulletin de France, qui annonce beaucoup, et qui ne remplit jamais l'attente de ceux qui demandent les effets de ses prédictions. Tout se tranquillise à Moscou depuis le départ de Braniki.a Il semble que la Russie, mécontente de la Suède, commence à soulever l'esprit de cette nation contre le Roi. Si Sa Majesté notre auguste neveu n'y prend garde, et s'il ne s'observe pas davantage dans sa conduite, je prévois qu'il s'attirera quelque mauvaise affaire. Pour l'affaire de la Bavière, elle me paraît, mon cher frère, encore bien éloignée; l'Électeur se porte mieux que moi. Mais sur toute chose il faut savoir comment la France envisage cet objet, pour être informé avec certitude de la force des alliances de part et d'autre, et des obstacles qui pourront se rencontrer dans cette affaire; car si cela en vient à l'exécution du projet des Autrichiens, il faut s'attendre à une guerre générale,


a Voyez t. XXIII, p. 405.

b Le docteur Frédéric-Hermann-Louis Muzell, conseiller intime, mourut à Berlin le 7 décembre 1784.

a Voyez t. VI, p. 73 et 74.