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199. AU PRINCE HENRI.

Ce 19 (juin 1769).



Mon cher frère,

Comme je prends les eaux à présent, vous ne vous étonnerez pas si ma lettre est plus laconique que d'ordinaire. Je me hâte, mon cher frère, de vous répondre en peu de mots sur ce que vous m'écrivez. Le malheur a voulu qu'en Corse la corruption française ait prévalu sur l'habileté et l'esprit de ressources de Paoli. M. de Vaux s'est conduit, en Corse, comme un brigand rouable; il a fait massacrer dans les villages tous les êtres vivants, jusqu'aux enfants à la mamelle. D'autre part, en répandant de grosses sommes, il a débauché les Corses, et Paoli, n'ayant plus que deux cents hommes, sur lesquels il ne pouvait guère compter, s'est embarqué pour Livourne. La jalousie que les Autrichiens ont de cette conquête est énorme; on dit que l'Empereur en est outré. C'est à Neisse qu'il veut venir à la fin d'août.a

Les Anglais veulent se charger de la médiation entre les Turcs et les Russes, conjointement avec nous; je crois que nous trouverons plus de roideur de la part des Russes que des Musulmans. La grande armée turque n'a pas encore passé le Danube. Le pape abolira les jésuites; mais je ne crois pas que nous y gagnions la moindre chose, parce que ces bons pères ont été mis à sec par les enfants chéris de l'Église, et sûrement qu'on les dépouillera du peu qui leur reste avant de les extirper.b Il y a eu une nouvelle scène à Londres entre l'ambassadeur de France et de Russie; celui de France s'est conduit avec une insolence et une indécence qui choque tout le monde. Il semble que Choiseul ait résolu de rendre sa nation détestable à tous les peuples par l'impertinence dont se conduisent ses ministres, sans que je voie l'avantage qui en résultera pour la France. Ma sœur de Suède triomphe du


a Voyez t. VI, p. 26-28, et t. XXIV, p. 510.

b Voyez t. XIX, p. 284 et 360; t. XXIII, p. 137, 153 et 467; t. XXIV, p. 164, 436, 466 et 653; voyez enfin la lettre de Frédéric à sa sœur de Baireuth, du 10 décembre 1754.