<82>n'est pas à moi à prêcher les sages, c'est un poëte philosophe qui leur parle. J'apprends que le comte de Falkenstein a vu des ports, des arsenaux, des vaisseaux, des fabriques, et qu'il n'a point vu Voltaire; ces autres choses se rencontrent partout, et il faut des siècles pour produire un Voltaire. Si j'avais été à la place de l'Empereur, je n'aurais pas passé par Ferney sans entendre le vieux patriarche, pour dire au moins que je l'ai vu et entendu. Je crois, sur certaines anecdotes qui me sont parvenues, qu'une certaine dame Thérèse, très-peu philosophe, a défendu à son fils de voir le patriarche de la tolérance. Ce que l'Empereur a de bon, il le tient de lui-même; c'est son propre fonds, c'est son caractère à lui, qui a perfectionné son éducation. Ce maréchal de Batthyani qui l'a élevé, et que j'ai connu particulièrement, était un digne homme, et capable de donner de bons principes à un jeune prince. Je le répète encore, Helvétius s'est trompé dans son ouvrage de l'Esprit. Il soutient que les hommes naissent à peu près avec les mêmes talents; cela est contredit par l'expérience.a Les hommes portent en naissant un caractère indélébile : l'éducation peut donner des connaissances, inspirer à l'élève la honte de ses défauts; mais l'éducation ne changera jamais la nature des choses. Le fond reste, et chaque individu porte en lui les principes de ses actions. Cela doit être, parce que nous découvrons des lois éternelles; est-il donc probable, dès que quelque chose est déterminé dans l'univers, que tout ne le soit pas? Je sais que j'agite une grande question; mais en m'adressant au plus sage philosophe des Gaules, c'est à lui à la résoudre.

Vous voulez savoir ce que je pense de la conduite des Anglais?b Tout ce qu'en pense le public : qu'ils ont péché contre la bonne foi, en ne tenant pas à leurs colonies le pacte tel qu'ils l'avaient fait avec elles; en déclarant maladroitement, et contre les règles de la prudence, la guerre à un de leurs membres, dont il ne pouvait résulter que du mal pour eux; parce qu'ils ont ignoré stupidement la force de ces colonies, et se sont imaginé


a Voyez, t. XXIII, p. 256, 257 et 283, et t. XXIV, p. 685, les jugements que Frédéric porte sur deux autres ouvrages d'Helvétius.

b Voyez t. VI, p. 128 et suivantes, et t. XXIII, p. 450.