<68>solitude m'épouvante et me glace, et je ressemble à un homme qui verrait devant lui un long désert à parcourir, et l'abîme de la destruction au bout de ce désert, sans espérer de trouver là un seul être qui s'afflige de le voir tomber dans cet abîme, et qui se souvienne de lui après qu'il y sera tombé.

Mais je m'aperçois, toujours trop tard, que je fais toujours la sottise d'entretenir V. M. de mes idées lugubres, qu'elle-même veut bien dissiper. J'aime mieux lui parler du voyage que je projette, de la douceur que j'éprouverai à mettre à ses pieds tous les sentiments de respect, de reconnaissance et d'admiration dont je suis depuis si longtemps pénétré pour elle, et du bonheur que j'aurai encore une fois de la voir et de l'entendre, Quoique ma santé, en ce moment, ne soit pas trop bonne, et que le moindre dérangement à mon régime et à ma manière uniforme de vivre soit très-sensible à ma frêle et pauvre machine, j'espère cependant que cette santé et cette machine me permettront de jouir des bontés de V. M., et d'aller philosopher avec elle sur les grands maux et les petits biens de la vie.

Dans la triste situation où je suis, je m'accroche où je puis pomme soulager, et je pense quelquefois que j'ai du moins le bonheur de ne pas vivre en Espagne, et de n'avoir pas les inquisiteurs à craindre. Il est en effet bien humiliant pour un souverain, comme le dit V. M., de se mettre ainsi, lui et ses fidèles sujets, à la merci d'un jacobin. Oh! que la gent sacerdotale a bien su tout ce quelle faisait en instituant la confession! Vivent les princes qui ne se confessent pas!

Voltaire n'a point de vache blanche; mais il a toujours grand'peur des gens qui font brûler les vaches. Je le crois cependant un peu tranquillisé en ce moment sur cette Bible expliquée et commentée par les aumôniers de V. M., qui n'ont rien de mieux à faire que de commenter la Bible pour d'autres, puisque V. M. ne juge pas à propos de se la faire expliquer par eux. Mais j'apprends qu'il y a en effet un autre objet dont il est en ce moment très-affligé; c'est que son établissement de Ferney lui devient très à charge par le peu de secours qu'il trouve pour l'entretenir, depuis que M. Turgot n'est plus en place. Il écrit à V. M. qu'il est ruiné; cela n'est pas tout à fait vrai, et il fait tant de bien à