<344>passer tant de temps sans lui parler de ma reconnaissance, et sans lui rappeler mon ancien attachement avec mon profond respect. Je me consolais d'être sur mon grabat avec la fièvre pendant qu'on célébrait à la cour et à la ville la naissance d'un Dauphin;a mais je ne me consolais pas de ne pouvoir tenir la plume et de ne pouvoir écrire à V. M.

Si, lorsque V. M. boira son verre d'eau à côté de la pantocratrice son ancienne amie, elle veut me permettre d'être derrière son siége et de lui présenter ce verre, comme je suis à peu près sûr d'en obtenir l'agrément de mon auguste souveraine, je promettrai volontiers d'oublier toutes mes grandeurs passées et de m'en tenir à cette seule et unique. J'ai proposé à l'Impératrice, après la visite de M. le comte de Falkenstein,b de bâtir à côté de son palais, soit à Pétersbourg, soit à Zarskoe-Selo, une auberge à l'enseigne des Trois Rois, de la réserver pour des buveurs d'eau de la trempe de V. M., et de m'en nommer, non le maître, mais le garçon; mais vous sentez bien, Sire, que la modestie avec laquelle on entend parler de pareilles visites ne permet pas qu'on adopte mon enseigne, ni qu'on accorde à son colonel invalide la place de garçon qu'il brigue.

Je commence à désespérer, Sire, de jamais bien rectifier les notions de V. M. sur mes dignités et titres hyperboréens, d'autant que je n'ai à montrer aucune patente visée par le prince Potemkin; je tiens toutes mes prérogatives de la pure et spéciale grâce de mon auguste bienfaitrice. Comme mon titre de souffre-douleur broche sur tous les autres, j'ai osé me flatter de pouvoir y associer celui de plastron de V. M.; je croyais souffre-douleur et plastron cousins germains; mais la définition de Végèce, qui, s'il eût vécu de notre temps, eût cherché ses définitions sur les rives de la Sprée et de la Havel, me déroute entièrement. Je n'ai éprouvé de la part de V. M. que des traits de bonté et de bienfaisance, et je n'ai contre ces traits qu'une arme défensive, ma reconnaissance et mon attachement malheureusement inutile; je vois bien qu'il faut que je me déplastronne.

Il y a aujourd'hui, Sire, grand vacarme dans le taudis du


a Voyez ci-dessus, p. 229.

b Voyez t. XXIII, p. 450, 455 et 456, et ci-dessus, p. 170.