<116>Ce monument, Sire, ne vaudra pas l'Éloge que V. M. doit faire de ce grand homme. Cet Éloge rappellera un beau vers de Voltaire :b

Le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille.

Cet Éloge, Sire, sera le signal de beaucoup d'autres qui ne le vaudront pas, mais auxquels il servira de modèle; et les gens de lettres apporteront après vous le denier de la veuve. L'Académie française ne pense point encore à lui choisir un successeur; elle y est trop embarrassée, elle tardera le plus qu'elle pourra; et ce qu'il y a de fâcheux, c'est que le successeur de Voltaire sera reçu par un prêtre, qui était directeur lorsque ce grand homme est mort. Ses confrères suppléeront de leur mieux à ce que ce capelan ne dira pas. Pourquoi faut-il qu'ils aient la langue et les mains liées? Nous voulons toujours lui faire un service, et nous n'espérons guère de l'obtenir; et chacun de nous peut dire, en parodiant un vers de l'opéra :

Ah! j'attendrai longtemps, la messe est loin encore.

Je ne sais si j'ai eu l'honneur de mander à V. M. qu'un très-habile artiste de ce pays-ci, nommé Houdon, déjà connu par plusieurs beaux ouvrages, a fait en terre, en attendant le marbre, un magnifique buste du patriarche, d'une ressemblance parfaite. Il serait digne d'être placé dans le cabinet de V. M., et donné par elle à l'Académie de Berlin.

Voici quatre vers excellents qu'on a faits sur lui :

Celui que dans Athène eût adoré la Grèce,
Que dans Rome à sa table Auguste eût fait asseoir,
Nos Césars d'aujourd'hui n'ont pas voulu le voir,
Et monsieur de Beaumont lui refuse une messe.

Ce M. de Beaumont est le digne archevêque fanatique que Paris a le bonheur d'avoir.

Le désir de répondre aux questions de V. M. m'a empêché, Sire, de lui parler en détail des vœux ardents que toute la France


b Voyez Le Russe à Paris, 1760, Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIV, p. 181. Condé, âgé de vingt ans, versa des larmes à la première représentation de Cinna.