<593>activité, afin que vous éclairiez encore pendant longues années vos contemporains, et nous autres ignorants qui n'avons pas l'honneur d'être géomètres. Je souhaite en même temps que la fortune, déesse à laquelle vous ne sacrifiez guère, répande ses heureuses influences sur vos jours prolongés; car sans le bonheur, la vie n'est qu'un fardeau, et un fardeau souvent insupportable. Si vous me demandez ce que j'entends par la fortune, ce sera tout ce que vous voudrez, le destin, le fatum, la nécessité, en un mot, ce qui rend heureux. Et voilà, non pas pour la nouvelle année, mais pour un grand nombre de suivantes.

J'ai été flatté de l'approbation que vous donnez à ma façon de penser au sujet du Patriarche de Ferney. La postérité éclairée enviera aux Français ce phénomène de la littérature, et les blâmera de n'en avoir pas assez connu le prix. De pareils génies ne naissent que de loin en loin. L'antiquité grecque nous fournit un Homère, c'était le père de la poésie épique; un Aristote, qui avait, quoique mêlées d'obscurités, des connaissances universelles; un Épicure, auquel il a fallu un commentateur comme Newton pour qu'on lui rendît justice. Les Latins nous fournissent un Cicéron, aussi éloquent que Démosthène, et qui embrassait beaucoup d'érudition dans la sphère de sa capacité; un Virgile, que je regarde comme le plus grand des poëtes. Il se trouve ensuite une très-grande lacune jusqu'aux Bayle, aux Leibniz, aux Newton, aux Voltaire; car une infinité de beaux esprits et de gens à talents ne peuvent se ranger dans cette première classe. Peut-être faut-il que la nature fasse des efforts pour accoucher de ces génies sublimes; peut-être y en a-t-il beaucoup d'étouffés par les hasards de la naissance et par des jeux de la fortune qui les détournent de leur destination; peut-être y a-t-il des années stériles pour la production des esprits, comme il y en a pour les semences et pour les vignes. La France, comme vous le dites, se sent de cette stérilité. On y voit des talents, mais peu de génies. Quoique cette stérilité s'aperçoive chez les voisins, ces voisins mêmes n'en sont pas mieux pourvus. L'Angleterre et l'Italie sont languissantes; un Hume, un Metastasio, ne peuvent entrer en parallèle ni avec le lord Bolingbroke, ni même avec l'Arioste. Pour nos Tudesques, ils ont vingt idiomes, et n'ont