<518>premier coup de canon; mais, Sire, un prince qui ne serait que guerrier et point philosophe ne peut-il pas aussi abuser de ces grandes armées pour faire la guerre plus souvent et plus légèrement, comme Louis XIV lui-même se le reprochait au lit de la mort? D'ailleurs, les dépenses que ces grandes armées exigent ne mettent-elles pas l'Europe, même en temps de paix, dans un état continuel de tension qui ne diffère pas beaucoup d'un état continuel de guerre?

Je m'aperçois, Sire, par la fin de cette seconde feuille, et je m'en aperçois un peu tard, que j'abuse de la patience et des bontés de V. M. Je la supplie donc de pardonner à mon long et ennuyeux verbiage, de le regarder comme une suite du désir que j'ai de m'instruire avec elle, et surtout de lui témoigner les sentiments inaltérables de profond respect et d'éternelle reconnaissance avec lesquels je suis, etc.

92. A D'ALEMBERT.

Le 12 décembre 1770.

Regagner une partie de sa santé est un avantage, être soulagé est un bien; ainsi je crois pouvoir vous féliciter sur le bon effet des remèdes que vos médecins de Paris vous ont ordonnés. Vous ne vous êtes pas arrêté dans la patrie des anciens troubadours, et vous voilà de retour à Paris. Ne me parlez point de finances; on ne m'en rebat que trop les oreilles ici, et je dis comme Pilate : Ce qui est écrit est écrit.a

Je vous envoie le Rêvea d'un certain philosophe contre lequel Voltaire est irrité; comme je pressais ce philosophe pour savoir si la vision était sienne, il m'avoua que le petit prophète Waldstorch,b étant ici, la perdit de sa poche en tirant son mouchoir.


a Voyez t. XXIII, p. 278.

a Voyez t. XV, p. III, n° III, et p. 23-28; t. XXIII, p. 201.

b Voyez t. XVIII, p. 100 et 259. Grimm avait été à Berlin au mois de septembre 1769.