<475>saillies féroces d'un amour-propre désordonné. Je ne vous en dirai pas davantage pour cette fois, tant pour ménager votre santé que faute de matière, priant Dieu, etc.

70. DE D'ALEMBERT.

Paris, 9 mars 1770.



Sire,

Je suis pénétré de reconnaissance de la bonté avec laquelle Votre Majesté daigne interrompre ses importantes affaires pour s'occuper un moment des rêveries métaphysiques d'un pauvre malade. La réponse qu'elle a bien voulu faire à la difficulté morale que j'ai pris la liberté de lui proposer sur son excellent mémoire a certainement toute la solidité dont la matière est susceptible. Je conviens que, d'une part, la crainte des lois et des supplices, et, de l'autre, l'espérance d'être soulagé par les âmes vertueuses, peuvent être un frein capable de retenir ceux qui sont dans l'indigence; mais je suppose, ce qui est possible, que l'indigent soit, d'une part, sans espérance d'être secouru, et que, de l'autre, il soit assuré de pouvoir en cachette dérober au riche une partie de son superflu pour subvenir à sa propre subsistance, et je demande ce qu'il doit faire en ce cas, et s'il peut ou même s'il doit se laisser mourir de faim, lui et sa famille. La difficulté n'est pas la même pour celui qui possède quelque chose; il ne doit rien dérober, même en cachette, parce qu'il a intérêt qu'on n'en agisse pas de même à son égard.

Je prie V. M. de me permettre aussi quelques réflexions sur une autre question dont j'ai eu l'honneur de l'entretenir, et qui m'a valu de sa part une lettre si belle et si philosophique, savoir : si en matière de religion, ou même en quelque matière que ce puisse être, il est utile de tromper le peuple. Je conviens avec V. M. que la superstition est l'aliment de la multitude; mais elle ne doit, ce me semble, se jeter sur cet aliment que dans le cas