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2. A LA PRINCESSE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Potsdam, 29 avril 1763.



Madame,

J'ai reçu avec sensibilité et reconnaissance le beau présent que Votre Altesse Royale a daigné me faire de deux opéras dont elle a fait les paroles et la musique.a Ces ouvrages seraient précieux par eux-mêmes, et par leur beauté intrinsèque; ce qui leur ajoute un nouveau prix, c'est la main dont ils me viennent. V. A. R. a tant de grandes qualités, que ce serait une fadeur de la louer pour des talents qui feraient la réputation des autres. Mais je dois vous confesser, madame, que vous faites honneur à la musique, en conservant par vos ouvrages le bon goût prêt à se perdre, et que vous donnez un exemple aux compositeurs, qui tous, pour bien réussir, devraient être poëtes en même temps. Je suis charmé de voir une grande princesse qui cultive les arts, en les protégeant. Ces arts, madame, ajoutent un nouveau lustre à vos vertus; loin de déroger à la dignité, ils la rendent plus aimable, plus humaine et plus respectable. Je conserverai, madame, le bienfait précieux que je tiens de vos mains dans le sanctuaire de ma bibliothèque à musique, et toutes les fois que j'entendrai exécuter de ces airs, je me souviendrai que je le dois à vos bontés.

Mais quel trafic inégal de ma part! Je ne puis vous offrir que des jambons de neige, que j'attends à tout moment. Ils sont dignes, madame, de votre grande gouvernante, mais j'ai honte de vous les présenter. Dans les temps d'idolâtrie, la Grèce vous aurait érigé des temples et des autels, et moi, Visigoth, je m'avise de vous offrir de vils aliments. Daignez m'excuser, madame, avec


a La princesse électorale Antonie a fait imprimer deux opéras : Il Trionfo della fedeltà, Leipzig, chez Breitkopf, 1756, et Talestri, Regina delle Amazoni, Leipzig, Breitkopf, 1765. Si ce ne sont pas ces deux ouvrages que la princesse envoya au Roi, et dont il la remercie dans cette lettre, nous ne savons de quels opéras il s'agit ici.