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13. DE D'ALEMBERT.

Paris, 29 avril 1763.



Sire,

Je me rendrai avec empressement à Wésel, au premier avis que Votre Majesté me fera donner de son voyage, et je me félicite d'avance de pouvoir enfin mettre à vos pieds, en toute liberté, des sentiments que je partage avec l'Europe entière. Je ne sais pas si, comme V. M. le prétend, il y a des rois dont les philosophes se moquent; la philosophie, Sire, respecte qui elle doit, estime qui elle peut, et s'en tient là. Mais quand elle pousserait la liberté plus loin, quand elle oserait quelquefois rire en silence aux dépens des maîtres de ce monde, le philosophe Molière dirait à V. M. qu'il y a rois et rois, comme fagots et fagots;a et j'ajouterai avec plus de respect et autant de vérité que la philosophie me paraîtrait bien peu philosophe, si elle avait la bêtise de se moquer d'un roi tel que vous. Toute la morale de Socrate n'a pas fait au genre humain la centième partie du bien que V. M. a déjà fait en six semaines de paix. La France, qui s'étonne encore d'avoir été votre ennemie, parle de votre gloire avec admiration, et de votre bienfaisance avec attendrissement. Ne craignez point, Sire, malgré vos bons mots sur les sottises des poëtes, que le poëte philosophe qui vient de faire le traité de Hubertsbourg soit mis par la postérité sur la même ligne que le poëte cardinalb qui a fait le traité de Versailles. Il était assez naturel que ce dernier traité donnât à la géométrie un peu d'humeur contre la poésie; vous êtes, Sire, à tous égards, bien propre à les réconcilier ensemble. Permettez-moi cependant d'avouer que si dorénavant la géométrie permet aux poëtes d'emprunter le secours de la Fable, ce ne sera pas quand ils auront à parler de vous.

Je suis avec le plus profond respect, etc.


a Voyez le Médecin malgré lui, par Molière, acte I, scène VI.

b Bernis. Voyez t. IV, p. 38; t. X, p. 123; t. XVIII, p. 104; t. XIX, p. 25; t. XXIII, p. 25; et ci-dessus, p. 269.