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225. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 15 décembre 1779.



Sire,

Depuis quinze ans que je suis honorée des lettres de Votre Majesté, il m'a toujours paru que la dernière que je reçois était plus belle que toutes celles qui l'avaient précédée. Il n'appartient qu'à Frédéric de se surpasser dans les petites choses comme dans les grandes. Le public a toujours cru voir la plus sublime de vos actions dans la dernière qu'on lui annonçait. Il pensait en 1777 que Frédéric, vainqueur en trois guerres, législateur et père de ses peuples, ne pouvait pas s'élever plus haut. Mon frère mourut, et Frédéric, comblé de gloire et de grandeur, quand tout autre que lui n'aurait songé qu'à jouir paisiblement du fruit de ses travaux immenses, vit seul, au delà de la belle carrière qu'il avait parcourue, un but qui échappe au commun des rois. Jusqu'ici il avait surtout combattu pour les siens; il combattit pour les autres, il devint l'arbitre désintéressé des différends des souverains, l'organe de la justice suprême qui juge les nations. Elle parla par sa voix, elle trouva ce qu'elle ne trouve pas toujours sur la terre, des cœurs disposés à l'écouter; armée de toute la force de l'héroïsme et de la saine raison, elle fut obéie. Telle est l'histoire de la dernière guerre, Sire, que votre modestie conte si différemment.

V. M. fait l'horoscope de celle qui dure encore. C'est le jugement le plus profond, énoncé avec toutes les grâces de l'imagination la plus riante. Vous seul donnez de l'universalité à des termes qui, pour le reste des hommes, ne sont bons qu'à quelques genres. Parfaitement rassurée sur toutes mes appréhensions, je rends grâce à l'auteur de notre repos de ce surcroît de tranquillité, et je le supplie d'agréer l'hommage de la haute estime et de l'admiration infinie avec laquelle je ne cesserai d'être, etc.