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111. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 28 juillet 1769.



Sire,

Si la charmante lettre de Votre Majesté me parvenait quelques jours plus tôt, c'en était fait. Sans être plus romanesque qu'une autre, je remplissais un désir qui depuis six ans ne m'a point quittée; j'arrivais à Berlin, tous vos ministres étrangers arrivaient en diligence en cour, et tous les politiques des cabinets et des cafés de l'Europe comptaient au bout de leurs doigts les secrets motifs de mon voyage. Au fond, tout se réduirait à la satisfaction de voir le même héros que j'ai vu couvert de gloire militaire, jouir maintenant en philosophe de la paix qu'il a donnée; mais on nous prend toujours pour plus profonds que nous ne voulons l'être, et vous surtout, Sire, vous avez cela de commun avec tous les grands hommes, que vous ne faites pas un pas que le publie n'attribue à quelque dessein savamment combiné. Cependant la peur du qu'en dira-t-on ne m'aurait pas retenue. Le moyen de résister à la fois à l'attrait d'être avec vous, Sire, et à tout ce que V. M. me dit d'obligeant sur mon projet de voyage? Ce n'est qu'après avoir bien calculé l'impossibilité d'arriver à temps pour les noces qu'il a fallu me déterminer à différer; je dis différer, car c'est au-dessus de mes forces de renoncer entièrement à une idée si flatteuse. Depuis la reine de Saba jusqu'aux souverains qui voyagent de nos jours, on a fait plus de chemin pour voir moins que Frédéric le Grand. La voix publique répond parfaitement à toutes les espérances que V. M. avait conçues de madame sa nièce, et que sans doute elle voit remplies à l'heure qu'il est. Recevez, Sire, mes compliments réitérés sur un mariage aussi intéressant, ou, puisque vous le voulez ainsi, ma bénédiction réitérée, quoiqu'il n'appartienne pas à une femme de marcher sur les brisées de votre premier aumônier.a Il faut finir, Sire, pour ne pas devenir babillarde. Dans toutes vos lettres, il n'y a que votre vilaine goutte qui me fâche. Faut-il


a I Corinthiens, chap. XIV. v. 34.