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110. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

12 juillet 1769.



Madame ma sœur,

Ah! madame, que Votre Altesse Royale ne réalise-t-elle le songe enchanteur qu'elle me présente! Quoi! vous voir ici, vous posséder, et jouir de l'ineffable avantage de votre divine conversation! Et tout ce bonheur s'évanouit comme une vapeur légère dont mon imagination frappée conserve une empreinte qui la tourmente, et me remplit de regrets! Il y a, en vérité, un peu de cruauté, madame, dans vos procédés; ou ne me montrez point de bonheur, ou donnez-m'en la pleine jouissance. Je suis à présent comme un homme affamé qui mâche à vide; je me remplis des idées que vous daignez me présenter, et je me crois réduit aux tourments d'Ixion.a Non, madame, j'ose dire que vous avez trop avancé pour reculer, et, sans venir sur une haquenée avec votre écuyer et votre confidente, quel mal y aurait-il qu'une grande princesse vînt assister à la noce de la cousine germaine de sa bru?a Si vous désapprouvez cette idée peut-être trop téméraire, c'est à V. A. R. à la réprimer; toutefois suis-je bien aise que ce mariage qui va se faire mérite votre approbation. La landgrave de Hesse-Darmstadt est mon ancienne connaissance;b c'est une princesse dont je n'ai pas besoin de faire l'éloge, dont le caractère, le cœur et les sentiments lui ont acquis une estime universelle. Je ne connais point sa fille; mais je suis persuadé qu'elle a profité de l'éducation qu'une telle mère était en état de lui donner. Voilà, madame, où nous en sommes; nous l'attendons ici le 13 avec sa fille, et ce roman sera terminé bien vite. Je crois qu'il vaut mieux filer le parfait amour après qu'avant les noces, et la bénédiction que vous daignez y donner me remplit des plus heureuses espérances pour l'avenir.

A propos de bénédictions, madame, on dit que nous avons un nouveau pape que le Saint-Esprit a choisi avec le plus grand


a Ou plutôt de Tantale.

a Voyez t. VI, p. 25.

b Voyez t. XX, p. 205 et 206.