<132>eût sollicité, poussé; le naturel eût vaincu les maximes. Mais je croirais volontiers que, après avoir fait de grandes choses, pris des villes, gagné des batailles, enfin, ennuyé de triomphes, rassasié de gloire, et trop accoutumé au bruit de la renommée, une retraite glorieuse et philosophique eût terminé votre carrière. Du reste, Sire, je conviens avec V. M. que les souverains ne sont pas toujours maîtres de leur choix; moins libres, à cet égard, que les particuliers, les conjonctures les entraînent, les événements leur forcent la main. Puissent-ils vous permettre constamment de philosopher et de jouir! Mais que j'aie toujours quelque part à vos réflexions; vous ne pouvez, Sire, les communiquer à personne qui les admire davantage, ni qui soit plus que moi, avec les sentiments si distingués qui vous sont dus, Sire, etc.

80. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Sans-Souci, 9 avril 1767.



Madame ma sœur,

Votre Altesse Royale m'apprend que je n'ai pas l'art de persuader. Je vous abandonne la philosophie, madame, où il est permis à chacun d'avoir librement ses opinions, et, pourvu que je vous persuade du fonds inépuisable d'estime que j'ai pour votre personne, cela me suffit. Et de quoi me suis-je avisé, madame, de vous entretenir de moi-même? Il est vrai que je suis rempli des sentiments que j'ai exposés à V. A. R., et il n'est pas moins vrai que, ayant été jeté par ma destinée dans une route différente, j'ai été obligé de prendre l'esprit du corps duquel je me suis trouvé faire membre. Personne n'est maître de son sort; nous naissons, on nous donne un rôle à jouer, qui souvent ne nous convient pas, et c'est à nous de nous acquitter de notre charge le mieux que nous pouvons. Si nous vivions du temps de Voiture et de Balzac, je dirais à V. A. R. qu'elle est comme ces