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55. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

17 décembre 1765.



Madame ma sœur,

Votre Altesse Royale est universelle; elle se trouverait aussi peu déplacée à la tête d'un collége de commerce qu'en compagnie des Richelieu et des Haro,a ou comme jugeant, au Parnasse, du talent des Muses. Vous faites, madame, ce que vous voulez, et votre esprit a une flexibilité étonnante; pour moi, madame, je connais mon faible, et je prévois combien peu je me soutiendrais en négociant vis-à-vis de vous. Pour entrer cependant en matière sur ce que V. A. R. vient de m'écrire, elle voudra bien que je lui représente que, depuis un demi-siècle que l'Europe commence à s'éclairer sur les intérêts de son commerce, il n'est aucun État où subsiste une liberté entière de commerce, préjudiciable en bien des points aux intérêts de cet État, et que ce qui se peut faire entre voisins est de convenir sur certains sujets également favorables aux deux partis; ce qui suppose toujours quelques limites aux importations. Ces sortes de différends ne sauraient se régler que par l'intervention de commissaires versés dans les détails immenses de ces négoces. Je crois, madame, que c'est la voie la plus naturelle pour convenir de quelque chose et statuer quelques principes réciproques entre des États voisins. Toutefois, que V. A. R. ne se figure pas qu'il y a de quoi s'enrichir dans ce pays. Nous sommes plus Spartiates que les Saxons, et, sans contredit, si un État se ressent de la dernière guerre, si quelque peuple a une raison évidente de s'en plaindre, c'est celui-ci. Figurez-vous, madame, que j'ai eu douze mille trois cent soixante maisons ou granges à rebâtir;b je touche à la fin de cette entreprise, mais que d'autres plaies ne reste-t-il pas à guérir! Cela en revient à ce que V. A. R. disait de la guerre, que c'est le plus grand des maux, parce qu'il enferme en soi tous les autres fléaux. Heureusement cette guerre est terminée, et je sou-


a Voyez t. VIII, p. 280.

b Voyez t. VI, p. 82-80, et t. XXIII, p. 126.