490. DE VOLTAIRE.

(Ferney) juillet 1774.

Sire, il est vrai que les gobe-Dieu pourront bien avoir du crédit en France; peut-être même l'aimable fille318-a de celle que vous appelez la dévote318-b pourra contribuer plus que personne à affermir ce crédit si dangereux. Je n'ai pas assez exalté ce qui me reste d'âme pour lire couramment dans l'avenir; mais je crains tout. Les vieillards sont timides; il n'y aura que vous qui augmenterez <282>de courage quand vous deviendrez vieux; mais aussi n'êtes-vous pas fait comme les autres hommes.

Celui dont V. M. veut bien me parler avait, comme vous dites très-bien, le défaut d'être roi. Il était, ainsi que tant d'autres, peu fait pour sa place, indifférent à tout, mais se piquant aisément dans les petites choses qui lui étaient personnelles; il ne m'avait jamais pu pardonner de l'avoir quitté pour un autre qui était véritablement roi; et moi, je n'avais pu imaginer qu'il s'embarrassât si j'étais ou non sur la liste de ses domestiques. Je respecte sa mémoire, et je vous souhaite une vie qui soit juste le double de la sienne.

Si on fait à Morival la moindre difficulté, je le renverrai sur-le-champ à V. M.; nos sous-tyrans velches étaient des monstres bien absurdes. Ce jeune homme, condamné à avoir le poing coupé, la langue arrachée, à être roué, à être jeté dans les flammes, comme s'il avait commis une douzaine de parricides, est le jeune homme le plus sage, le plus circonspect que j'aie jamais vu; il n'a d'un jeune officier que la bravoure. Son éducation avait été très-négligée, comme elle l'est dans toutes les petites villes de France; il apprend chez moi la géométrie, les fortifications, le dessin, sous un très-bon maître; et je réponds à V. M. qu'à son retour il sera en état de vous rendre de vrais services, et qu'il sera très-digne de votre protection dans ce diable de grand art de Lucifer, dont vous êtes le plus grand maître.

J'attends l'occasion de demander pour lui ce que l'humanité, la justice et la raison lui doivent; son père est gentilhomme, et président d'une sotte ville; son oncle est chevalier de Malte; son frère a sollicité la place de bailli de la noblesse; et aucun d'eux n'a osé parler pour lui.

Daignez voir, Sire, si vous voudrez bien protéger, sans vous compromettre, ce brave et vertueux officier, qui vous appartient; voulez-vous m'autoriser à dire qu'il est sous votre protection, et qu'on vous fera plaisir en le favorisant? Il me semble que cette tournure peut lui faire un grand bien sans exposer V. M. au moindre dégoût.

J'avoue que si j'étais à la place de Morival, je me garderais bien de rien demander à des Velches; mais il y est forcé, il ne <283>doit pas abandonner ses héritages. Je supplie V. M. de me pardonner une importunité dont vous approuvez les motifs.

Je me mets à vos pieds avec le respect, l'attachement et les regrets qui me suivront au tombeau.


318-a Marie-Antoinette.

318-b De celle qu'on prétend que vous appelez la dévote. (Variante de l'édition de Kehl, t. LXYI, p. 134.)