<42>persiflez. Je vous assure même que j'ai vu exercer de grandes vertus dans les batailles, et qu'on n'y est pas aussi impitoyable que vous le croyez. Je pourrais vous en citer mille exemples; je me borne à un seul.

A la bataille de Rossbach, un officier français, blessé et couché sur la place, demandait à cor et à cri un lavement; voulez-vous bien croire que cent personnes officieuses se sont empressées pour le lui procurer? Un lavement anodin, reçu sur un champ de bataille, en présence d'une armée, cela est certainement singulier; mais cela est vrai, et connu de tout le monde. Dans cette tragi-comédie que nous jouons, il arrive souvent des aventures bouffonnes qui ne ressemblent à rien, et qu'une paix de mille ans ne produirait pas; mais il faut avouer qu'elles sont cruellement achetées.

Je vous remercie de la consultation du médecin Tronchin. Je l'ai d'abord envoyée à mon frère, qui est à Schwedt, auprès de ma sœur; je lui ai recommandé de s'attacher scrupuleusement au régime qu'on lui prescrit. Je vous prie de demander ce que Tronchin voudrait d'argent pour faire le voyage; je ne veux rien négliger de ce que je puis contribuer à la guérison de ce cher frère; et, quoique j'aie aussi peu de foi pour les docteurs en médecine que pour ceux en théologie, je ne pousse pas l'incrédulité jusqu'à douter des bons effets que le régime peut procurer. Je les sens moi-même; je n'aurais pu supporter les affreuses fatigues que j'ai eues, si je ne m'étais mis à une diète qui paraît sévère à tous ceux qui m'approchent. Reste à savoir si la vie vaut la peine d'être conservée par tant de soins, et si ceux-là ne sont pas les plus sages et les plus heureux, qui l'usent tout de suite. C'est à M. Martin et à maître Panglossa à discuter cette matière, et à moi à me battre tant qu'on se battra.

Pour vous, qui êtes spectateur de la pièce sanglante qu'on joue, vous pourrez nous siffler tous tant que nous sommes. Grand bien vous fasse! Soyez persuadé que je n'envie pas votre bonheur; je suis convaincu que l'on ne peut jouir que lorsqu'on n'est en guerre ni de plume ni d'épée. Vale.

358. DE VOLTAIRE.

(Château de Tournay) 2 mai 1759.

Héros du Nord, je savais bien
Que vous avez vu les derrières
Des guerriers du Roi Très-Chrétien,
A qui vous taillez des croupières;
Mais que vos rimes familières
Immortalisent les beaux cus
De ceux que vous avez vaincus,
Ce sont des faveurs singulières.
Nos blanc-poudrés sont convaincus
De tout ce que vous savez faire;
Mais les ons, les its et les usa
A présent ne vous touchent guère.
Mars, votre autre dieu tutélaire,
Brise la lyre de Phébus;
Horace, Lucrèce et Pétrone
Dans l'hiver sont vos courtisans;
Vos beaux printemps sont pour Bellone;
Vous vous amusez en tout temps.

Il n'y a rien de si plaisant, Sire, que le Congé que vous m'avez donné, daté du 6 novembre 1757; cependant il me semble que, dans ce mois de novembre, vous couriez à bride abattue à Breslau, et que c'est en courant que vous chantâtes nos derrières. Le bel arrêtb du parlement de Paris sur le bon sens philosophique de d'Argens, et sur la Loi naturelle, pourrait bien aussi avoir sa part dans l'histoire des culs; mais c'est dans le divin chapitre des torche-culs de Gargantua. La besogne de ces messieurs ne mérite guère qu'on en fasse un autre usage. On a traité à peu près ainsi à la cour les impertinentes remontrances que cette compagnie a faites. On ne pourra jamais leur reprocher la philosophie du bon sens. On dit que Paris est plus fou que jamais, non pas de cette folie que le génie peut quelquefois permettre, mais de cette folie qui ressemble à la sottise. Je ne veux pas, Sire, avoir celle


a Personnages du roman de Candide.

a Allusion au Congé de Formée des Cercles et des Tonneliers. Voyez t. XII, p. 80-83.

b Du 6 février 1759. Voyez t. XIX, p. 66 et 67, et ci-dessus, p. 39.