<407>ce pauvre pays sont comme s'ils n'avaient jamais été; et je vous avoue que je ressens une douce satisfaction à voir une province revenir de si loin.

Ces occupations ne m'ont point empêché de barbouiller mes idées sur le papier; et, pour épargner la peine de les transcrire, j'ai fait imprimer six exemplaires de mes rêveries;f je vous en envoie un. Je n'ai eu que le temps de faire une esquisse; cela devrait être plus étendu; mais c'est à de vrais savants à y mettre la dernière main. Messieurs les encyclopédistes ne seront peut-être pas toujours de mon avis; chacun peut avoir le sien. Toutefois, si l'expérience est le plus sûr des guides, j'ose dire que mes assertions sont uniquement fondées sur ce que j'ai vu, et sur ce que j'ai réfléchi.

Vivez, patriarche des êtres pensants, et continuez, comme l'astre de la lumière, à éclairer l'univers. Vale.

562. AU MÊME.

Potsdam, 24 septembre 1777.

Si j'exécute votre commission, j'aurai opéré un miracle plus grand que celui de Jean-Jacques à Venise :a j'aurai, comme Bacchus ou Moïse, fait jaillir une fontaine d'un rocher. Mais ce rocher sur lequel je dois faire mes opérations est plus dur que le diamant. Et vous voulez que j'en fasse sortir les eaux du Pactole! Je crains que mon soi-disant pupille ne me perde de réputation, et qu'il ne m'arrive comme à ces prophètes des Cévennes qui voulurent, à Londres, ressusciter un mort, et qui n'en purent venir à bout. Cependant j'ai repassé tout mon Cicéron et tout mon Démosthène pour composer une lettre bien


f Essai sur les formes de gouvernement et sur les devoirs des souverains. Voyez ci-dessus, p. 456.

a Rousseau se vante, dans la troisième de ses Lettres écrites de la montagne, d'avoir fait des miracles à Venise en 1743.