<115>encore, et qui ne tarderont pas d'arriver. J'ai donné commission de chercher l'Abrégé de Fleury, s'il s'en trouve à Berlin, pour vous l'envoyer. On prétend qu'un docteur Ernesti a réfuté cet ouvrage;c mais ce qu'il y a de plaisant, c'est que, étant luthérien, il s'est vu nécessité de plaider la cause du pape, ce qui a fort édifié la cour de Saxe.

Je vous envoie en même temps un poëmea singulier pour le choix du sujet; ce sont les réflexions de l'empereur Marc-Aurèle mises en vers. J'aime encore la poésie. Je n'ai que de faibles talents; mais comme je ne barbouille du papier que pour m'amuser, aussi peu im-porte-t-il au public que je joue au whist ou que je lutte contre la difficulté de la versification; ceci est plus facile et moins hasardeux que d'attaquer l'hydre de la superstition. Vous croyez que je pense que le peuple a besoin du frein de la religion pour être contenu; je vous assure que ce n'est pas mon sentiment; au contraire, l'expérience me range entièrement de l'opinion de Bayle. Une société ne saurait subsister sans lois, mais bien sans religion, pourvu qu'il y ait un pouvoir qui, par des peines afflictives, contraigne la multitude à obéir à ces lois. Cela se confirme par l'expérience des sauvages qu'on a trouvés dans les îles Mariannes, qui n'avaient aucune idée métaphysique dans leur tête; cela se prouve encore plus par le gouvernement chinois, où le théisme est la religion de tous les grands de l'État. Cependant, comme vous voyez que dans cette vaste monarchie le peuple s'est abandonné à la superstition des bonzes, je soutiens qu'il en arriverait de même ailleurs, et qu'un État purgé de toute superstition ne se soutiendrait pas longtemps dans sa pureté, mais que de nouvelles absurdités reprendraient la place des anciennes, et cela, au bout de peu de temps. La petite dose de bon sens répandue sur la surface de ce globe est, ce me semble, suffisante pour fonder une société généralement répandue, à peu près comme celle des jésuites, mais non pas un Etat. J'envisage les travaux de nos philosophes d'à présent comme très-utiles, parce


c Jean-Auguste Ernesti avait critiqué sévèrement l'Abrégé de Fleury, ainsi que l'Avant-propos du Roi, dans sa Neue theologische Bibliothek, Leipzig, 1766, t. VII, p. 333-345.

a Le Stoïcien. Voyez t. XII, p. 208-218.