166. A VOLTAIRE.

Camp de Mollwitz, 13 mai 1741.

Les gazettes de Paris qui vous disaient à l'extrémité, et madame du Châtelet ne bougeant de votre chevet, m'ont fait trembler pour les jours d'un homme que j'aime, lorsque j'ai vu par votre lettre que ce même homme est plein de vie, et qu'il m'aime encore.

Ce n'est point mon frère qui a été blessé, c'est le prince Guillaume, mon cousin. Nous avons perdu à cette heureuse et malheureuse journée quantité de bons sujets. Je regrette tendrement quelques amis dont la mémoire ne s'effacera jamais de mon cœur. Le chagrin des amis tués est l'antidote que la Providence a daigné joindre à tous les heureux succès de la guerre, pour tempérer la joie immodérée qu'excitent les avantages remportés sur les ennemis. Le regret de perdre de braves gens est d'autant plus sensible, qu'on doit de la reconnaissance à leurs mânes, et sans pouvoir jamais s'en acquitter.

La situation où je suis m'amènera dans peu, mon cher Voltaire, à risquer de nouveaux hasards. Après avoir abattu un arbre, il est bon d'en détruire jusqu'aux racines, pour empêcher <70>que des rejetons ne le remplacent avec le temps. Allons donc voir ce que nous pourrons faire à l'arbre dont M. de Neipperg doit être regardé comme la séve.

J'ai vu et beaucoup entretenu le maréchal de Belle-Isle, qui sera dans tout pays ce que l'on appelle un très-grand homme. C'est un Newton pour le moins en fait de guerre, autant aimable dans la société qu'intelligent et profond dans les affaires, et qui fait un honneur infini à la France sa nation, et au choix de son maître.

Je souhaite de tout mon cœur de n'attendre que de bonnes nouvelles de votre part; soyez persuadé que personne ne s'y intéresse plus que votre fidèle ami.