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242. DU MÊME.

(Lunéville, août 1749.)

Sire, voici une des tracasseries que j'eus l'honneur de vous prédire il y a dix ans, lorsque, après avoir envoyé votre Antimachiavel en Hollande, par les ordres de V. M., je fis ce que je pus pour supprimer cet ouvrage.

J'avais tort, à la vérité, de vouloir étouffer un si bel enfant, qui s'est conservé malgré moi, et qui est un des plus beaux monuments de votre génie et de votre gloire.

Mais vous vous exprimez dans cet ouvrage avec une liberté qui n'est guère permise qu'à un homme qui a cent mille hommes à ses ordres. Je courus, comme vous le savez, Sire, chez l'imprimeur, et j'osai raturer sur Je manuscrit des endroits dont David pourrait se plaindre, s'il revenait au monde, et ceux qui pourraient être désagréables à des princes contemporains, et surtout à des têtes couronnées que vous avez toujours aimées.

V. M. peut se souvenir que le fripon van Duren, qui se dit aujourd'hui votre libraire, n'eut pas plus d'égard à mes ratures que le grand pensionnaire à mes représentations. Ce coquin avait fait transcrire le manuscrit, et je ne pus pas obtenir des chefs de la république qu'on l'obligeât à rendre pour de l'argent ce qu'on lui avait donné gratis.

Le livre parut donc, malgré tous mes efforts réitérés, et il parut avec quelques passages contre la personne d'un roi que vous avez imité par vos victoires, et contre un autre monarque que vous chérissez, et qui eût été votre allié naturel contre les Russes, si les Polonais avaient été assez heureux et assez fermes pour soutenir celui qu'ils ont si légitimement élu. Ses vertus et son alliance avec la maison de France sont des nœuds qui vous unissent avec lui. Ce monarque est très-affligé de la manière dont vous vous êtes expliqué sur Charles XII et sur lui-même. Il est très-aisé de réparer ce qui peut être échappé à votre plume sur ces deux princes qui vous sont chers. Je vous supplie, Sire, de faire une édition qui sera la seule authentique, et dans laquelle