<192>Troyens. Les Autrichiens valent bien les troupes de Troie, et votre lyre est bien au-dessus de la flûte d'Achille.

Voilà une lettre bien longue pour être adressée à un roi, et pour être écrite par un malade. Mais vous me ranimez un peu. Votre génie et vos bontés font sur moi plus d'effet que les pilules de Stahl.

J'ai pris la liberté de demander à V. M. de ces pilules, parce qu'elles m'ont fait du bien; je ne crois que faiblement aux médecins, mais je crois aux remèdes qui m'ont soulagé. Le roi Stanislas me donnait de bonnes pilules de votre royaume, à Lunéville. Il y a un peu d'insolence à faire de deux rois ses apothicaires, mais ils auront la bonté de me le pardonner.

Si la nature traite mon individu cet été comme cet hiver, il n'y a pas d'apparence que j'aie la consolation de me mettre encore aux pieds de l'immortel et de l'universel Frédéric le Grand. Mais, s'il me reste un souffle de vie, je l'emploierai à venir lui faire ma cour. Je veux voir encore une fois au moins ce grand homme. Je vous ai aimé tendrement, j'ai été fâché contre vous, je vous ai pardonné, et actuellement je vous aime à la folie. Il n'y a jamais eu de corps si faible que le mien, ni d'âme plus sensible. J'ose enfin vous aimer autant que je vous admire.

Une fille pucelle ou non pucelle! Vraiment c'est bien là ce qu'il me faut! J'ai besoin de fourrure en été, et non de fille. Il me faut un bon lit, mais pour moi tout seul, une seringue, et le roi de Prusse.

Je me porte trop mal pour envoyer des vers à V. M.; mais en voici qui valent mieux que les miens. Ils sont d'un capitaine dans les gardes du roi Stanislas; ils sont adressés au prince de Beauvau. L'auteur, nommé Saint-Lambert,a prend un peu ma tournure, et l'embellit. Il est comme vous, Sire, il écrit dans mon goût. Vous êtes tous deux mes élèves en poésie; mais les élèves sont bien supérieurs, pour l'esprit, au pauvre vieux maître poëte.

Songez combien vous devez avoir de bontés pour moi, en qualité de mon élève dans la poésie, et de mon maître dans l'art de penser.


a Voyez t. XIV, p. XV et 195.