<172>Quels sont vos étranges exploits!
A-t-on jamais entendu l'âne
Provoquer de sa voix profane
Le chantre aimable de nos bois?
Et vous, babillarde caillette,
Allez, sans raison, sans sujet,
Auprès du plus fameux poëte,
Afin d'exciter sa trompette
Par les sons de mon flageolet.
Partez donc, je n'y sais que faire.
Puisqu'il le faut, voyez, Voltaire,
Le fatras énorme et complet
De mille rimes insensées

Qui, malgré moi, comme il leur plaît,
Ont défiguré mes pensées;
Mais surtout gardez le secret

Voilà la façon dont j'ai parlé à ma muse, ou à mon esprit; j'y ajoutais encore quelques réflexions. Voltaire, leur disais-je, est malheureux : un libraire avide de ses ouvrages ou quelque éditeur familier lui volera un jour sa cassette, et vous aurez le malheur, mes vers, de vous y trouver et de paraître dans le monde malgré vous. Mais sentant que cette réflexion n'est qu'un effet de l'amour-propre, j'opinai pour le départ des vers, trouvant dans le fond que ces laborieux ouvrages, au lieu de trouver une place dans votre cassette, serviraient mieux dans la tabagie du roi Stanislas. Qu'on les brûle; c'est la plus belle mort qu'ils peuvent attendre. A propos du roi Stanislas, je trouve qu'il mène une vie fort heureuse. On dit qu'il enfume madame du Châtelet et le gentilhomme ordinaire de la chambre de Louis XV, c'est-à-dire qu'il ne peut se passer de vous deux. Cela est raisonnable, cela est bien. Le sort des hommes est bien différent. Tandis qu'il jouit de tous les plaisirs, moi, pauvre fou, peut-être maudit de Dieu, je versifie. Passons à des sujets plus graves. Savez-vous bien que je me suis mis en colère contre vous, et cela tout de bon? Comment pourrait-on ne point se fâcher? car

Du plus bel esprit de la France,
Du poëte le plus brillant,
Je n'ai reçu depuis un an
Ni vers ni pièce d'éloquence.