<102>C'est à vous de chanter sur la lyre d'Achille,
Vous, de qui la valeur imita ses exploits;
C'est à moi de me taire, et ma muse stérile
Ne peut accompagner votre héroïque voix.
Vous, roi des beaux esprits, vous, bel esprit des rois,
Vous dont le bras terrible a fait trembler la terre,
Rassurez-la par vos bienfaits,
Et faites retentir les accents de la paix
Après les éclats du tonnerre.
Ainsi ce roi berger,a et poëte, et soldat,
Moins poëte que vous, moins guerrier, moins aimable,
Par les sons de sa lyre, en sortant du combat,
Adoucit de Saül la rigueur intraitable.
Adoucissez vingt rois par des sons plus touchants;
Que la barbare Até, que la Haine cruelle,
Que la Discorde et ses enfants,
Enchaînés à jamais par vos bras triomphants,
Entendent vos aimables chants!
Qu'ils sentent expirer leur fureur mutuelle;

Que l'Horreur vous écoute et se change en douceur;
Que le Ciel applaudisse, et que la Terre, unie
Aux concerts de votre harmonie,
Dise : Je lui dois mon bonheur.

J'ai toujours espéré cette paix universelle, comme si j'étais un bâtard de l'abbé de Saint-Pierre. La faire pour soi tout seul serait d'un roi qui n'aime que son trône et ses États, et cette façon de penser n'est pas selon nous autres philosophes, qui tenons qu'il faut aimer le genre humain. L'abbé de Saint-Pierre vous dira, Sire, que, pour gagner paradis, il faut faire du bien aux Chinois comme aux Brandebourgeois et aux Silésiens. La relation de votre bataille de Chotsits, que vous avez eu la bonté de m'envoyer, prouve que vous savez écrire comme combattre; j'y vois, autant qu'un pauvre petit philosophe peut voir, l'intelligence d'un grand général à travers toute votre modestie. Cette simplicité est bien plus héroïque que ces inscriptions fastueuses qui ornaient autrefois trop superbement la galerie de Versailles, et que Louis XIV fit ôter par le conseil de Despréaux; car on n'est jamais loué que par les faits. Cette petite anecdote pourra servir à augmenter votre estime pour Louis XIV.


a I Samuel (I Rois, selon la Vulgate), chap. XVI.