<74>penser est différente de ces suppôts de l'erreur! Vous aimez la vérité, ils aiment la superstition; vous pratiquez les vertus, ils se contentent de les enseigner; ils calomnient, et vous pardonnez. Si j'étais catholique, je ne choisirais ni saint François d'Assise, ni saint Bruno pour mes patrons. J'irais droit à Cirey, où je trouverais des vertus et des talents supérieurs en tout genre à ceux de la haire et du froc.

Ces rois sans amitié et sans retour, dont vous me parlez, me paraissent ressembler à la bûche que Jupiter donna pour roi aux grenouilles.a Je ne connais l'ingratitude que par le mal qu'elle m'a fait. Je peux même dire, sans affecter des sentiments qui ne me sont pas naturels, que je renoncerais à toute grandeur, si je la croyais incompatible avec l'amitié. Vous avez bien votre part à la mienne. Votre naïveté, cette sincérité et cette noble confiance que vous me témoignez dans toutes les occasions, méritent bien que je vous donne le titre d'ami.

Je voudrais que vous fussiez le précepteur des princes, que vous leur apprissiez à être hommes, à avoir des cœurs tendres, que vous leur fissiez connaître le véritable prix des grandeurs, et le devoir qui les oblige à contribuer au bonheur des humains.

Mon pauvre Césarion a été arrêté tout court par la goutte. Il s'en est défait du mieux qu'il a pu, et s'est mis en chemin pour Cirey. C'est à vous de juger s'il ne mérite pas toute l'amitié que j'ai pour lui.

En prenant congé de mon petit ami, je lui ai dit : Songez que vous allez au paradis terrestre, à un endroit mille fois plus délicieux que l'île de Calypso; que la déesse de ces lieux ne le cède en rien à la beauté de l'enchanteresse de Télémaque; que vous trouverez en elle tous les agréments de l'esprit, si préférables à ceux du corps : que cette merveille occupe son loisir par la recherche de la vérité. C'est là que vous verrez l'esprit humain dans son dernier degré de perfection, la sagesse sans austérité, entourée des tendres Amours et des Ris. Vous y verrez, d'un côté, le sublime Voltaire, et de l'autre, l'aimable auteur du Mondain; celui qui sait s'élever au-dessus de Newton, et qui, sans s'avilir, sait chanter Phyllis. De quelle façon, mon cher


a La Fontaine, Fables, liv. III, fable IV.