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104. A VOLTAIRE.

Remusberg, 6 novembre 1739.

Mon cher ami, j'ai été aussi mortifié de l'état infirme de votre santé que j'ai été réjoui par la satisfaction que vous me témoignez de ma Préface. J'en abandonne le style à la critique de tous les Zoïles de l'univers; mais je me persuade en même temps qu'elle se soutiendra, puisqu'elle ne contient que des vérités, et que tout homme qui pense sera obligé d'en convenir.

Cette réfutation de Machiavel, à laquelle vous vous intéressez, est achevée. Je commence à présent à la reprendre par le premier chapitre, pour corriger et pour rendre, si je le puis, cet ouvrage digne de passer à la postérité. Pour ne vous point faire attendre, je vous envoie quelques morceaux de ce marbre brut, qui ne sont pas encore polis.

J'ai envoyé, il y a huit jours, l'Avant-propos à la marquise; vous recevrez tous les chapitres corrigés et dans leur ordre, lorsqu'ils seront achevés. Quoique je ne veuille point mettre mon nom à cet ouvrage, je voudrais cependant, si le public en soupçonnait l'auteur, qu'il ne pût me faire du tort. Je vous prie, par cette considération, de me faire l'amitié de me dire naturellement ce qu'il y faut corriger. Vous sentez que votre indulgence, en ce cas, me serait préjudiciable et funeste.

Je m'étais ouvert à quelqu'un du dessein que j'avais de réfuter Machiavel; ce quelqu'un m'assura que c'était peine perdue, puisque l'on trouvait, dans les Notes politiques d'Amelot de La Houssaye sur Tacite, une réfutation complète du Prince politique. J'ai donc lu Amelot et ses Notes, mais je n'y ai point trouvé ce qu'on m'avait dit; ce sont quelques maximes de ce politique dangereux et détestable qu'on réfute, mais ce n'est pas l'ouvrage en corps.

Où la matière me l'a permis, j'ai mêlé l'enjouement au sérieux, et quelques petites digressions dans les chapitres qui ne présentaient rien de fort intéressant au lecteur. Ainsi les raisonnements, qui n'auraient pas manqué d'ennuyer par leur sécheresse, sont suivis de quelque chose d'historique, ou de quelques re-