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7. DE VOLTAIRE.

(Leyde) décembre 1736.



Monseigneur,

J'ai versé des larmes de joie en lisant la lettre du 9 septembre, dont V. A. R. a bien voulu m'honorer; j'y reconnais un prince qui certainement sera l'amour du genre humain. Je suis étonné de toute manière : vous pensez comme Trajan, vous écrivez comme Pline, et vous parlez français comme nos meilleurs écrivains. Quelle différence entre les hommes! Louis XIV était un grand roi, je respecte sa mémoire; mais il ne parlait pas aussi humainement que vous, monseigneur, et ne s'exprimait pas de même. J'ai vu de ses lettres : il ne savait pas l'orthographe de sa langue. Berlin sera, sous vos auspices, l'Athènes de l'Allemagne, et pourra l'être de l'Europe. Je suis ici dans une villea où deux simples particuliers, M. Boerhaave d'un côté, et M. s'Gravesande de l'autre, attirent quatre ou cinq cents étrangers. Un prince tel que vous en attirera bien davantage, et je vous avoue que je me tiendrais bien malheureux, si je mourais avant d'avoir vu l'exemple des princes et la merveille de l'Allemagne.

Je ne veux point vous flatter, monseigneur; ce serait un crime, ce serait jeter un souffle empoisonné sur une fleur. J'en suis incapable; c'est mon cœur pénétré qui parle à V. A. R.

J'ai lu la Logique de M. Wolff, que vous avez daigné m'envoyer; j'ose dire qu'il est impossible qu'un homme qui a les idées si nettes, si bien ordonnées, fasse jamais rien de mauvais. Je ne m'étonne plus qu'un tel prince aime un tel philosophe. Ils étaient faits l'un pour l'autre. V. A. R., qui lit ses ouvrages, peut-elle me demander les miens? Le possesseur d'une mine de diamants me demande des grains de verre; j'obéirai, puisque c'est vous qui ordonnez.

J'ai trouvé, en arrivant à Amsterdam, qu'on avait commencé une édition de mes faibles ouvrages. J'aurai l'honneur de vous envoyer le premier exemplaire. En attendant, j'aurai la hardiesse


a Leyde, où Voltaire arriva vers la fin de décembre 1736.