310. DU MARQUIS D'ARGENS.

Potsdam, 5 janvier 1768.



Sire,

Votre Éloge du prince Henri m'a dégelé pendant une demi-heure, et votre éloquence a produit sur moi ce que le poêle le plus ardent n'a pu faire depuis trois semaines. Vous avez le feu de Démosthène, la noble véhémence de Bourdaloue, et vous tempérez <418>cela, lorsque vous voulez, par les grâces de Fléchier. Pourquoi avez-vous répété deux fois dans la même page une phrase exprimant la même pensée et dite dans les mêmes termes? Voici cette phrase : d'un enfant qui n'a laissé aucune trace de son existence.468-a Si vous n'aviez pas commis cette légère inadvertance, vous auriez fait ce qui n'est pas réservé à un mortel, un ouvrage sans défaut. Les pages 8 et 9 de votre discours valent mieux que le Dictionnaire de Suidas, et j'aimerais mieux avoir écrit la page 20 que tous les livres de Scaliger. Quant à la page 27, elle est au-dessus de mes louanges; c'est aux Bourdaloue, aux Patru468-b et aux autres maîtres de l'art d'en faire l'éloge. J'ai l'honneur, etc.


468-a Voyez t. VII, p. 45.

468-b Olivier Patru, avocat et homme de lettres, né à Paris en 1604, mort en 1681. Ses contemporains l'appelaient le Quintilien français.