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83. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 28 octobre 1759.



Sire,

Je reçois la lettre de Votre Majesté dimanche matin le 28. Je partirai sans faute après-demain le 30, et j'arriverai à Glogau dans le même temps qu'elle y arrivera.b Quelque faible que je sois dans ces temps d'hiver, j'irais à pied au bout du monde pour avoir le plaisir de vous voir. Je crains que vous ne vous fassiez porter trop tôt à Glogau; si vous venez à vous refroidir, cela peut allonger votre maladie. Je sens bien que vous devez être fâché de ne pouvoir pas achever le reste de la campagne; mais vous pouvez ordonner de faire ce que vous auriez exécuté, si votre santé l'avait permis. D'ailleurs, dans quinze jours, si vous vous soignez bien, vous serez en état de supporter la voiture, et vous pourrez vous faire transporter où vous jugerez à propos. Enfin, il est des choses qui sont au-dessus des forces humaines, et contre lesquelles le meilleur remède, c'est de penser qu'on n'a pu les éviter, ni les prévenir.

Vous avez reçu, il y a deux ou trois jours, la nouvelle de la prise de Québec. Voilà donc toute l'Amérique septentrionale perdue pour les Français, et les Anglais peuvent faire revenir, cet hiver, en Europe près de dix mille hommes de troupes, plus de trente vaisseaux de guerre, et en laisser encore assez pour prendre la Martinique au mois de mars. Croyez, Sire, que cet hiver verra les Français abandonner tous leurs alliés, et par conséquent nous aurons la paix au printemps, et nous irons à Sans-Souci voir la galerie, qui sera, à ce que m'a dit aujourd'hui l'inspecteur des tableaux,a qui arriva hier de Potsdam, la plus belle chose qu'il ait vue dans le monde, quoiqu'il ait été six ans en Italie. J'ai l'honneur, etc.

P. S. J'envoie à V. M. des vers qu'on dit avoir été affichés pendant la nuit à la porte du château de Versailles :


b Le Roi partit de Köben pour Glogau le 1er novembre.

a Matthieu Oesterreich, qui mourut à Potsdam le 19 mars 1778, âgé de cinquante-huit ans.