<92>et qui ne vaudront pas le temps que vous perdrez à les entendre. Je connais ces espèces de personnes du genre de madame Tagliazucchi : elles envisagent les petites choses comme très-importantes; elles sont charmées de figurer en politique, de jouer un rôle, de faire les capables, d'étaler avec faste le zèle de leur fidélité. J'ai vu souvent que ces beaux secrets révélés n'ont été que des intrigues pour nuire au tiers ou au quart, à des gens auxquels ces sortes de personnes veulent du mal. Ainsi, quoi que cette femme vous puisse dire, gardez-vous bien d'y ajouter foi; et que votre cervelle provençale ne s'échauffe pas au premier bruit de ces récits. Je suis ici, de l'autre côté de l'Oder, à me démener avec les barbares et les Autrichiens. Ils me rendent la vie bien dure; il faut pourtant que cela finisse, comme tout finit dans le monde. Notre campagne durera probablement jusqu'à la fin de novembre. Adieu, mon cher; ayez pitié d'un pauvre diable qui, depuis trois mois, est comme revêtu d'un san-benito, et qui a attendu de moment en moment l'instant où on allait le brûler. Je vous embrasse.

78. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 12 octobre 1759.



Sire,

J'aurais bien peu profité, si, après avoir vécu vingt ans avec des gens sensés en Allemagne, j'avais conservé une cervelle provençale. Vous verrez, Sire, par le mémoire que m'a remis madame Tagliazucchi, de quoi il est question, et vous déciderez ensuite. Si V. M. ne m'avait point écrit en propres termes : « Quoi que cette femme puisse vous dire, gardez-vous bien d'y ajouter foi, » j'aurais prié le commandant de faire arrêter le nommé Ranuzzia jusqu'à ce qu'elle eût mandé ce quelle veut


a Le marquis d'Argens veut probablement parler de Giovanni Renazzi, espion autrichien, détenu à Spandow jusqu'en 1787.