<429>l'âme, fût-ce aux dépens du corps. Quel système barbare! Un espoir plus humain m'y avait seul déterminée, et j'attendais de ce remède son retour à la vie. Je vous demande humblement pardon, Sire, si j'ai importuné de nouveau V. M. : des scrupules ridicules m'ont fait ménager la vérité dans ma première lettre; des scrupules légitimes m'ont dicté cette seconde, où j'ai cru devoir mieux vous obéir, Sire, et rendre à mon mari toute la justice qui lui est due. Comment ne serait-on pas ébranlé dans un pas où l'on me dit que le plus grand service que je puisse rendre aujourd'hui à mon mari est de brûler tout ce qui me reste de ses ouvrages, de mettre au feu quelques tableaux qu'il avait apportés ici avec lui, comme si, plus on brûle de choses dans ce monde-ci, moins on est brûlé dans l'autre. La lecture de vos divines lettres, Sire, m'a rendue à la raison, à mon exact devoir envers V. M. et envers mon mari; ma douleur m'avait ôté ce que l'approche de la mort n'a pu lui ravir. Les deux derniers bons mots qu'il dit, dans le dérangement même de l'imagination, montrent combien ses sentiments étaient solides. Il avait formé le plan d'un ouvrage qui n'était pas au-dessous de ce qu'il avait écrit de plus fort; il s'en occupa, du moins en esprit, pendant tout le cours de sa maladie; le sort a trahi ses projets. Il est trop heureux, si, après sa mort, l'exacte vérité prouve à V. M. qu'il n'était pas indigne des bontés dont V. M. l'a honoré. Je suis avec un très-profond respect, etc.

3. A LA MARQUISE D'ARGENS.

Potsdam, 4 avril 1771.

Je vous remercie de tous les détails que vous m'avez envoyés sur la maladie et la mort de mon cher marquis; ils m'ont touché sensiblement. Que n'est-il resté avec nous! Peut-être vivrait-il encore. On aime ainsi à se flatter sur une chose qui nous intéresse. Je sens, comme je vous l'ai dit, toute la perte que vous avez faite; elle est irréparable, marquise, toutes les larmes et tous les regrets ne rappelleront point à la vie celui qui n'est plus. Vous devez vous faire une raison de votre douleur et ne pas irriter vos maux par des désirs inutiles. Ce sera certainement avec plaisir que j'apprendrai que vous êtes aussi heureuse que je le désire, et que vous trouvez toujours