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304. AU MÊME.

Août 1766.

Vous voyagez, mon cher marquis, avec poids et mesure, au lieu que je cours le pays, et me transporte çà et là comme Notre-Dame la Folle. Je crois bien que vous avez été à ma maison de Sans-Souci, et que vous en êtes revenu; mais je parie bien que toute la journée a été employée à ce laborieux exercice. Je ne vous parle point de mes courses; elles ont une double fin, le militaire et la finance, deux choses qui ne vous intéressent guère. J'ai recueilli, chemin faisant, des anecdotes du voyage qu'a fait l'Empereur sur nos frontières,a et je m'aperçois, mon cher, que les tableaux gagnent plus à être vus de loin qu'examinés de près. Nous autres princes, nous ne devons nous montrer que dans notre gloire, comme le Dieu de la messe. On élève un ciboire doré, tout le peuple adore, la messe se dit, des instruments harmonieux l'accompagnent, l'exemple de la multitude inspire une espèce de respect sombre et ténébreux; un quidam vient, examine toute cette cérémonie, prend le calice, et y trouve une pâte faite de pain azyme, et rit de la superstition du vulgaire. Voilà, mon cher, une fable morale dont vous pouvez faire votre profit. J'ai fait aujourd'hui quatre milles en voiture et quatre à cheval; cela m'a un peu fatigué, et je finirai par l'apophthegme du roi Dagobert, qui aimait beaucoup ses chiens; quand il fallait les quitter, il ne manquait jamais de leur dire : « Il n'y a si bonne compagnie qui ne se sépare. » Adieu, mon cher marquis; je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.


a En juin 1766. Voyez t. VI, p. 18.