<392>tristesse où j'étais. J'avais appris à Lyon que d'Éguilles, mon frère, était à Paris pour un procès qui était une suite de celui qu'il avait eu avec son parlement. Il a été, par parenthèse, bien heureux que le Roi ait cassé l'arrêt du parlement de Provence, car il était condamné par cet arrêt à perdre sa charge de président, confisquée en faveur du Roi, et banni du royaume pour dix ans. Cela aurait reculé la fin de mes affaires. Enfin, d'Éguilles a obtenu, au conseil, tout ce qu'il demandait; sa charge lui a été conservée; le Roi lui a seulement ordonné de ne pas aller à Aix jusqu'à ce qu'il lui en donne la permission. Il est venu à Éguilles, qui n'est qu'à une lieue de cette ville. Je suis avec lui et avec ma mère. Mes affaires sont terminées à ma satisfaction. Les arrangements que j'ai à prendre par rapport à une terre qu'on m'a cédée ne me retiendront que jusqu'au mois d'avril; ainsi je compte avoir le bonheur d'aller me mettre à vos pieds au commencement de l'été, si, avant ce temps, je ne vais pas faire la révérence au Père éternel. A parler vrai, je donne fort volontiers la préférence sur cet article à V. M. Je vomirais bien exécuter les ordres qu'elle me donne de me défaire de toutes les maladies dont je suis affecté. J'ai communiqué votre intention à mon médecin, qui m'a conseillé de lui écrire qu'elle eût la bonté d'ordonner que, au lieu de soixante et un ans, je n'en eusse tout au plus que cinquante, et de m'envoyer de la prochaine foire de Leipzig un estomac tout neuf et bien conditionné, parce que, en Provence, on n'a pas le secret d'en donner de nouveaux à ceux qui en ont un vieux et qui ne digère presque plus. Je pense, Sire, que, quand vous badinez sur les maux d'un pauvre philosophe de soixante et un ans, cela est aussi condamnable que si j'allais reprocher à un vieux militaire les coups de fusil qu'il a reçus. Vous croyez donc qu'on étudie quarante ans sans qu'il en coûte beaucoup à la santé? Vous me direz : Et moi, j'étudie depuis trente ans, je gouverne un grand État, je commande mes armées, je fais des guerres aussi pénibles que glorieuses; je me porte cependant très-bien. Il a vécu en Europe, depuis Jules César et Marc-Aurèle, un homme qui, égalant la gloire de ce premier empereur, la sagesse du second, digérait cependant fort bien; donc tous les philosophes doivent avoir un bon estomac.