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30. DU MÊME.

REQUÊTE D'UN PAUVRE MALADE A UN GRAND ROI QUI SE PORTE BIEN.

Potsdam, 28 mars 1750.b



Sire,

Je m'étais flatté, depuis deux jours, de l'heureuse espérance que je pourrais être assez fortuné pour faire ma cour à V. M.; mais me voilà encore perclus, depuis hier, de la moitié du corps. Une misérable humeur scorbutique prend à chaque moment diverses formes. M. Cothenius m'assure que, à l'aide d'une cure de dix ou douze jours, il me rendra aussi vigoureux qu'un athlète des jeux Olympiques; mais j'ai, Sire, une autre maladie que V. M. peut seule guérir. Cette maladie, c'est la crainte que j'ai de lui déplaire, et tous les remèdes ne font rien au corps, si l'esprit est malade. V. M. peut, à l'exemple du Messie, me guérir dans un instant, en me faisant assurer de sa part, par le saint abbé de Prades, que je puis avaler en paix tous les diaboliques breuvages que Cothenius ordonnera. N'allez pas vous figurer, Sire, que le métier de faiseur de miracles ne convient pas à V. M.; rappelez-vous que les plus grands princes ne l'ont pas méprisé. Vespasien, qui, après tant de mauvais souverains, mit fin aux maux de l'empire, daigna s'abaisser à guérir un boiteux en lui marchant sur la jambe, en Syrie, et un aveugle, en Judée, en lui frottant les yeux de sa salive. V. M. peut faire un miracle avec moins de peine, et elle conviendra que, quelque peu que je vaille, je vaux bien un vieux Juif borgne. Je me recommande donc à sa bonté, et j'ai l'honneur, étendu sur mon châlit entre deux vieux bouquins, l'un grec et l'autre latin, de me dire avec le plus profond respect, etc.


b C'est par une erreur de transcription que cette lettre est datée de 1750, car l'abbé de Prades, lecteur du Roi, dont il y est parlé, ne vint à Berlin qu'au mois d'août 1752.