<262>à cet article, j'ai pris le parti de prouver que La Mettrie n'avait jamais parlé ni pensé comme les philosophes, mais que, en beaucoup de choses, il avait donné dans les mêmes travers que les théologiens, et ce qu'il y a de plaisant, c'est que je le prouve sans réplique. Au reste, j'ai tâché d'écrire mon livre avec le plus de décence qu'il m'a été possible, et j'espère que tout homme qui ne sera pas bête ou fanatique ne pourra s'empêcher de convenir qu'on peut suivre les sentiments d'Épicure, et être un très-galant homme et fort utile à la société. Je demande d'avance à V. M. un peu d'indulgence pour mon ouvrage, et je la prie de vouloir excuser les fautes qu'elle y trouvera, en faveur du zèle qui m'a fait défendre la bonne cause. J'ai l'honneur, etc.

198. AU MARQUIS D'ARGENS.

Strehlen, 11 novembre 1761.

Votre lettre du 3, mon cher marquis, vient de m'être rendue; elle m'a trouvé plus stoïcien que jamais, et en compagnie de Marc-Aurèle. Le monde est notre marâtre, la philosophie notre mère, et je me sauve entre les bras de cette mère quand ma marâtre me maltraite. Je n'aurai point la satisfaction de vous voir cet hiver. Je ne sais pas encore trop ce que je deviendrai moi-même. J'attends que votre ouvrage soit imprimé pour le lire. Je ne connais point ce philosophe grec que vous avez traduit, et je doute qu'il nous apprenne du nouveau. Ne comptez pas tant sur moi; je ne suis qu'un homme. Le peu d'esprit que j'ai est une vapeur du sang, un arrangement de ressorts qui sont sujets à se détraquer et à changer. En un mot, gardez-vous bien de me prendre pour la Providence. On conte que l'on dit à un habile musicien : Pourriez-vous bien jouer sur un violon où il n'y a que trois cordes? Il en joua tant bien que mal. Ensuite on en cassa encore une. Il joua, mais moins bien. Puis on cassa les deux dernières, et l'on voulait encore qu'il tirât quelques sons de son instrument.