<229>des flots de sang répandus, et que la fortune, à laquelle toutes les puissances remettent leur sort, en décidera souverainement. Chantez-lui quelque antienne, mon cher marquis, dites-lui un bout de votre bréviaire, et tâchez, s'il se peut, de nous la rendre favorable. Je lui promets une image d'or, à l'imitation de la petite statue que les empereurs romains conservaient précieusement dans la chapelle de leurs lares. Adieu, mon cher marquis; ne m'oubliez pas, et soyez persuadé de l'estime que j'ai pour vous.

171. AU MÊME.

Kunzendorf, près de Schweidnitz, 20 mai 1761.

Me voici arrivé, mon cher marquis, en Silésie, sans en être plus avancé pour cela. Les oursomanes se préparent à la campagne, les Français en font autant, les Autrichiens sont vis-à-vis de nous. Vous voyez que notre situation est, en gros, la même que l'année précédente, et que ce que je vous ai dit à Leipzig n'est que trop vrai. Cette situation, qui ressemble aux lucides intervalles des médecins, continuera, à vue de pays, jusqu'au mois de juillet. Mais alors il se fera un beau sabbat dans ces contrées, et la fortune, la fatalité, le hasard, ou tout ce qu'il vous plaira, en décideront. Je lis Lucien, de temps en temps Racine, quelquefois Voltaire, pour me distraire. D'ailleurs, je passe ma vie fin seul vis-à-vis de moi-même, sans penser à l'avenir qu'autant qu'il le faut absolument, et sans vouloir prévoir des choses sur lesquelles la nature a jeté un voile impénétrable à nos yeux. Si vous voulez savoir si je suis gai, je vous dirai franchement que non. Si vous êtes curieux des nouvelles de ma santé, apprenez que, malgré quelques infirmités, elle est assez passable pour me donner l'espérance qu'elle résistera aux fatigues de la campagne. Il m'est arrivé en marche une chose assez singulière. Vous m'aurez vu un page dont je pouvais me servir pour des commissions, et qui s'en acquittait bien. Je l'envoie, lorsque nous nous mettions en