<177>est trop forte, et j'y succomberai. Veuille le ciel que je me trompe! Toutes les probabilités me sont contraires, et, selon la façon de raisonner des hommes, je ne puis me sauver à moins d'un miracle. Jugez donc si des statues et des honneurs si peu mérités doivent m'affecter. Nous ne laissons en mourant qu'un vain nom à nos tombeaux, nos titres et nos biens à des héritiers souvent ingrats, et notre mémoire à déchirer à nos envieux.a

Il y a eu des jours de fête qui ont empêché les ouvriers de travailler pour vous. J'ai pris des mesures pour que ce service soit bien emballé et vous soit envoyé dès qu'il sera achevé. Je ne sais, mon cher marquis, si jamais je reverrai Sans-Souci. Ma situation commence à devenir aussi cruelle et aussi affreuse qu'elle l'était l'année passée. Nous ne sommes qu'au prélude; jugez ce que cela deviendra quand la pièce commencera. Ne vous attendez à rien de bon, je vous le dis d'avance, et pensez plutôt à mon épitaphe qu'à des triomphes.

Adieu, mon cher marquis. Je vous annonce comme Cassandre les infortunes de Troie. Je voudrais me tromper, mais, s'il n'arrive pas quelque dieu de machine pour le dénoûment de la pièce, la catastrophe ne tardera pas d'arriver. Adieu; je vous embrasse.

135. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 17 juin 1760.



Sire,

Je sens bien les peines et les embarras où doit se trouver Votre Majesté; mais elle trouvera dans son génie et dans sa fermeté de quoi les surmonter glorieusement. Je vois une certaine espérance répandue dans tous les cœurs, qui m'est un sûr garant de l'accomplissement de celle que j'ai toujours eue, et qui, malgré les


a Cette dernière phrase est une réminiscence d'un passage de l'Oraison funèbre de Henriette-Anne, duchesse d''Orléans, par Bossuet.