<169>gion chrétienne, lorsque Brühl commentera les campagnes de M. de Turenne.c

J'aurais bien encore des choses à dire à V. M., mais il est deux heures après minuit. Voilà de bon compte seize heures que je n'ai pas vu mon lit; je vais le retrouver, car je me suis levé à dix heures du matin. J'ai l'honneur, etc.

130. AU MARQUIS D'ARGENS.

Meissen, mai 1760.

Il y a, mon cher marquis, une grande différence entre la dialectique et l'art conjectural. Les raisonnements des géomètres sont rigoureux et exacts, parce qu'ils portent sur des objets possibles ou palpables de la nature; mais, lorsqu'il faut deviner des combinaisons, la moindre ignorance de faits incertains et obscurs interrompt la chaîne, on se trompe à tout moment. Ce n'est point faute de justesse d'esprit, mais faute de notions conformes à la vérité, et parce que l'esprit des hommes change, et qu'il est impossible de deviner tous les caprices qui leur passent par la tête. Voilà pourquoi, mon cher marquis, vous vous êtes trompé sur le jugement que vous portez des Français; ils ne feront la paix que lorsque leur subversion sera parvenue à son comble. Vous vous trompez de même sur le sujet d'une autre nation, parce que vous n'êtes pas devin, et par conséquent il vous est impossible de vous représenter les choses dans la vérité. Vous vous trompez encore sur le sujet de mon armée. Toutes ces erreurs que je vous cite, votre esprit n'en est point coupable; mais votre raisonnement, conséquent d'ailleurs, s'appuie sur de faux principes. Oui, j'ai dit que, avec cinquante mille hommes, un général qui entendait son métier pourrait tenir tête à quatre-vingt mille; mais je n'ai jamais dit qu'avec cinquante mille hommes on pût se soutenir


c Voyez la lettre de Frédéric à Voltaire, du 10 juillet 1749. XI, p. 157 et 158.