23. AU COMTE ALGAROTTI.



Cygne le plus inconstant et le plus léger du monde,

Le lutin qui promène ma vagabonde destinée m'a conduit à Olmütz, de là à la tête des armées, et me conduira de là Dieu sait où. Les Français ont donné un empereur aux Allemands; les Autrichiens ont escroqué son héritage à cet empereur; les Saxons veulent les en chasser de leur canapé; les Prussiens veulent courir au secours de leurs alliés au travers des boues, des frimas, des travaux et des dangers. La paix s'ensuivra, si elle peut; mais tant sais-je bien qu'elle sera toujours très-agréable à tout le monde; que la reine du bal payera, à la vérité, les violons, mais qu'elle sera trop heureuse de se délasser de la fatigue de la danse.

J'ai vu Dresde en lanterne magique; je ne sais quand j'y repasserai. Comme je n'aime point à faire les choses à demi, je ne <31>partirai d'ici qu'après avoir bien consolidé mon ouvrage. Cela fini, et la paix venue, je me rendrai aux arts, et Berlin aux plaisirs. Pour vous, papillon inconstant et volage, je ne sais ce que vous deviendrez. Emporté par le feu de votre imagination, peut-être irez-vous griller sous le brasier de l'équateur; peut-être irez-vous avec Maupertuis grelotter en Islande. Que m'importe quel climat vous habiterez, dès que ce n'est pas le mien?

Adieu; ne demandez rien d'une tête dont les traits d'imagination ne consistent qu'en paille hachée, en foin et en farine. Je donne ce métier à tous les diables, et je le fais cependant volontiers. Voilà à quoi l'on peut connaître les contradictions de l'esprit humain. Adieu encore une lois, aimable, mais trop léger Algarotti; ne m'oubliez pas dans les glaçons de la Moravie; et, de l'Opéra de Dresde, envoyez-moi, s'il se peut, par le souffle de Zéphire, quelques bouffées des roulements de la Faustine.35-a

Federic.

Mes compliments à ce jésuite qui ferait un homme aimable, s'il n'était point ecclésiastique, et qui a assez de mérite pour être païen comme nous.


35-a Cette célèbre cantatrice avait épousé à Venise le compositeur Hasse, en 1730.