<234>On ne parle ici que de banqueroutes à Amsterdam et à Hambourg.a Il est plaisant que les grands princes qui ont fait la guerre, et qui s'y sont ruinés, n'aient point manqué, et que les marchands qui se sont enrichis par tant d'entreprises aient fait des faillites énormes. Il arrive presque toujours dans le monde le contraire de ce qu'on devait raisonnablement supposer. Ce monde n'a pas le sens commun; tout y va de rebours. Je serais bien embarrassé de dire pourquoi il est, et encore plus pourquoi nous sommes. Pourquoi naître? pourquoi cette enfance imbécile? pourquoi tant de soin de l'éducation de la jeunesse, pour cultiver cette raison qui ne devient jamais raisonnable? pourquoi toujours manger, boire, dormir, nous entre-déchirer, faire des niaiseries, abattre, élever, amasser, dissiper? Enfin tous ces soins qui nous tourmentent tandis que nous vivons sont bien puérils quand on pense que la mort arrive et passe l'éponge sur tout le passé.

Je vous demande mille excuses de ces réflexions, qui se sont échappées de ma plume malgré moi; le sujet en est triste et humiliant. Si tout le monde faisait du bien comme vous, ma divine duchesse, on saurait à quoi les hommes et surtout les grands seigneurs sont bons. En bénissant ceux de cette espèce, il est permis d'être un peu mécontent des autres. Il est sûr que votre admirable caractère ne rend pas indulgent pour ceux que l'on compare à ce modèle. Je ne finirais point sur ce chapitre, si je ne craignais de blesser votre excessive modestie. Je finirai donc comme l'Épître de Boileau :a

Je t'admire et me tais.

En vous assurant que mon cœur et mon âme vous sont voués pour toute la durée de mon existence, je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.


a Voyez t. VI, p. 87.

a

Épître VIII, Au Roi

, vers 108 :

Je m'arrête à l'instant, j'admire et je me tais.