<182>nier effort auquel l'esprit humain puisse atteindre; mais pour nous rendre heureux, il nous rend insensibles, et l'homme est un animal plutôt sensible que raisonnable;b ses sens ont un puissant empire sur lui, que la nature leur a donné et dont ils abusent souvent, et la guerre que la raison leur fait sans cesse est à peu près semblable à celle que je fais à mes ennemis, dont souvent le grand nombre m'accable. Je crains bien que ces vapeurs de morale ne vous causent, madame, un profond ennui; pourvu qu'elles rendissent votre sommeil meilleur, vous pourriez au moins vous en servir comme d'un soporifique et en user envers moi comme l'abbé Terrassona envers un prêtre de sa paroisse. L'abbé Terrasson avait des insomnies qui le minaient et le conduisaient doucement au tombeau. Un jour qu'il était excédé de ce mal, il envoya chercher ce curé. Le tonsuré arriva, tout fier d'opérer une belle conversion; il triomphait déjà dans le fond de son cœur, quand l'abbé mourant lui dit : « Monsieur le curé, ne pourriez-vous pas me répéter quelqu'un des sermons que je vous ai entendu faire? Je me souviens que je dormais si bien dans votre église! Les médecins m'ont abandonné; mais prêchez, et vous me rendrez la vie. » Puissiez-vous, madame, de longtemps n'avoir besoin, pour votre santé, ni de ses sermons, ni de mes lettres! Puissiez-vous être persuadée, autant que je le voudrais, de la reconnaissance et de la haute estime avec laquelle je suis,



Madame,

de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.


b Voyez t. XIV, p. 73, t. XVII, p. 173, et ci-dessus, p. 181; voyez aussi la lettre de Frédéric au marquis d'Argens, Leitmeritz, juin 1757.

a Voyez t. XVI, p. 91.