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IV. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC MAURICE DE SAXE. (OCTOBRE 1745 - 16 JUILLET 1749.)[Titelblatt]

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1. DE MAURICE DE SAXE.

(Octobre 1745.)



Sire,

Plus occupé de la grande victoire que Votre Majesté vient de remporter à la tête de son armée335-a que du compte que je me suis proposé de lui rendre de notre fin de campagne, agréez, Sire, que je commence par féliciter V. M. de ces avantages et du nouveau lustre dont sa gloire et celle de ses armes viennent d'être décorées.

La supériorité du nombre de vos ennemis a cédé, Sire, à votre habileté et à celle de la qualité de vos troupes. Ce dernier événement justifie l'idée avantageuse qui m'a toujours fait dire, depuis que je les connais, qu'il n'y en a point qui puissent leur être comparées; la façon dont l'armée de V. M. est composée et disciplinée doit nécessairement lui assurer les victoires.

Ce que nous avons fait en Flandre, quoique considérable, n'approche point du brillant de la campagne pendant le cours de laquelle vous avez donné, Sire, deux batailles, et remporté deux grandes victoires.

La prise d'Ath a terminé la nôtre. La résistance de cette place n'a pas été considérable. C'est en Flandre un avantage d'avoir beaucoup de villes de guerre : elles servent, par échelons, de points d'appui; elles donnent des facilités pour les dépôts, et assurent les subsistances des armées, qui, sans cela, selon notre méthode de faire la guerre, ne sauraient prendre de position stable, ni assurer leurs conquêtes.

Il semble que de tout temps il y a eu deux méthodes sur lesquelles on s'est conduit pour faire la guerre, qui ont toutes deux leurs avantages. Les Romains ont suivi l'une, et tous les peuples <302>de l'Asie et de l'Afrique, l'autre. La première suppose une discipline exacte, et assure des conquêtes solides; la seconde se fait par incursion qui n'est que momentanée. L'on ne peut employer ces deux méthodes qu'avec les troupes qui y sont propres et composées à cet effet. Annibal a été le premier qui a formé son infanterie en légions romaines et conservé sa cavalerie numide sur le pied où elle était; aussi ne doit-on attribuer les prodigieux succès qu'il a eus contre les Romains qu'à son habileté d'allier ces deux méthodes.

V. M. a pu voir, dans le cours de cette guerre, quel avantage on peut tirer des troupes légères, et elle y a remédié autant qu'elle a pu.

Les Autrichiens ne doivent uniquement qu'à ce moyen, qu'ils ont su très-bien employer, leur salut; sans cela V. M. les aurait chassés, il y a déjà longtemps, de l'Allemagne. Pardonnez, Sire, si j'ai osé prendre la liberté de lui dire si librement ma pensée là-dessus; mais elle m'y a autorisé par la bonté qu'elle a eue de me parler de la difficulté qu'elle a rencontrée de subsister en Bohême pendant cette campagne et les différents événements de la précédente.

Je supplie V. M. d'agréer les assurances du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc.

Maurice de Saxe.

2. DU MÊME.

(Fin de décembre 1745.)



Sire,

L'expédition que Votre Majesté vient de terminer si glorieusement337-a est si brillante, que, comme militaire, je lui en dois un compliment.

<303>Je n'ai pas pu m'empêcher, comme Saxon, de compatir au sort qu'a éprouvé la Saxe; mais mon admiration pour tout ce qui s'y est passé n'en est pas moins au-dessus de l'expression.

Les manœuvres savantes et judicieuses de V. M. offrent un canevas fort étendu à la méditation; je ne puis assez l'admirer, et, depuis Alexandre et César, je ne vois rien de si grand et de si frappant.

La conduite que V. M. a tenue dans cette guerre contre les Saxons ressemble et surpasse assurément les belles et rapides expéditions de ces deux grands hommes, qui entreprenaient des guerres et les terminaient en peu de jours.

Recevez avec bonté, Sire, cet hommage qui ne peut être soupçonné de flatterie, et que l'admiration du sublime m'arrache malgré l'amertume qu'un si grand événement a dû naturellement répandre dans mon âme.

J'ai, etc.

Maurice de Saxe.

3. DU MÊME.

Camp de Bouchant, 20 mai 1746.338-a



Sire,

J'ai reçu, il y a deux jours, la lettre que Votre Majesté m'a fait la grâce de m'écrire le 10 de ce mois.

Je ne mérite pas, Sire, les éloges dont V. M. m'honore, et ils ne servent qu'à me faire rentrer en moi-même, et me faire concevoir combien peu j'en suis digne. Ce n'est donc pas par amour-propre, mais par obéissance, que j'ai l'honneur de me conformer aux ordres que V. M. veut bien me donner, et que je vous rends compte, Sire, des opérations de l'armée qu'il a plu à Sa Majesté Très-Chrétienne de me confier. Vous y remarquerez peut-être <304>quelques variations, Sire, dans la conduite; mais elles viendront moins du plan qui a été réglé que des circonstances, et V. M. sait très-bien que la partie militaire est toujours soumise à la politique. Ainsi je me flatte que V. M. ne m'attribuera pas toutes les fautes qui pourront se faire pendant le cours de cette campagne. Le moment où je me trouve vous persuadera, Sire, cette vérité; car je sens très-bien qu'une marche par notre droite, en tirant sur Bois-le-Duc, mettrait l'armée des alliés dans une situation critique.

J'ai fait prendre possession aujourd'hui d'Anvers; les alliés ont laissé, en différents détachements, environ deux mille hommes dans la citadelle, et M. le comte de Clermont-Prince est chargé d'en faire le siége. La circonvallation en sera faite demain, les préparatifs pour le siége tout de suite; ainsi je compte que le 25, au plus tard, la tranchée sera ouverte devant cette place.

Recevez avec bonté, Sire, les humbles assurances de mon admiration pour elle et du très-profond respect avec lequel je ne cesserai d'être,



Sire,

de Votre Majesté
le très-humble, très-soumis et très-obéissant serviteur,
Maurice de Saxe.

4. DU MÊME.

Camp de Lier, 18 juillet 1746.



Sire,

J'ai l'honneur d'envoyer ci-inclus à Votre Majesté la relation de ce qui s'est passé dans les deux armées depuis le 12.

Pour me conformer aux intentions de V. M., j'ai adressé à M. le prince de Conti, qui va faire le siége de Charleroi, les deux officiers qui m'ont remis la gracieuse lettre de V. M. à leur sujet, <305>et j'ai lieu de me flatter qu'on aura pour eux les empressements et les attentions qui sont dus aux personnes que vous honorez de vos ordres.

Les avis que j'ai de la direction de la marche de M. de Batthyani sur Peer, Brée et Hasselt, m'ont déterminé à marcher demain pour aller camper entre Moulines et Rosselaer. J'ai poussé un corps à Arschot, qui enverra des détachements sur Sichem et sur Diest. Il ne paraît plus douteux que le théâtre de la guerre ne soit incessamment transporté vers le pays de Liége.

Les deux armées s'avoisineront de bien près sur la Gete. Reste à savoir s'il est écrit dans le livre du destin qu'elles y combattront, ou qu'elles ne feront que se regarder.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect,



Sire,

de Votre Majesté
le très-humble et très-obéissant serviteur,
M. de Saxe.

5. DU MÊME.

(Septembre 1746.)



Sire,

J'ai reçu la lettre que Votre Majesté m'a fait la grâce de m'écrire le 18 août, et j'ai à vous demander pardon, Sire, si je n'ai pas répondu plus tôt à V. M. Mes occupations ont été moins la cause de mon silence que l'incertitude des événements, et mon amour-propre aurait été trop humilié, si j'avais annoncé des je ne sais à V. M. pour justifier ma conduite. Mais Namur est pris, et, quoique je me sois affaibli de soixante-deux bataillons et d'autant d'escadrons, j'ai contenu M. le prince Charles, qui est actuellement vis-à-vis de moi, à une portée de canon; un petit ruisseau nous sépare. Je ne crois cependant pas qu'il m'attaque, et je crois avoir beaucoup fait de l'avoir obligé de m'abandonner <306>Namur et de se retirer par un pays où son armée a souffert considérablement, sans m'être commis à un combat toujours douteux lorsque l'on n'a pas des troupes sur la discipline desquelles l'on peut compter.

Les Français sont ce qu'ils étaient du temps de César, et tels qu'il les a dépeints, braves à l'excès, mais inconstants, fermes à se faire tous tuer dans un poste lorsque la première étourderie est passée, car ils s'échauffent dans les affaires de poste, si l'on peut les faire tenir quelques minutes seulement; mauvais manœuvriers en plaine. Tous ces défauts, Sire, vous ne les connaissez pas dans vos troupes, et vous savez positivement ce que vous en pouvez attendre. Il faut donc avoir recours alors aux dispositions, que l'on ne saurait faire avec trop de soin. Le simple soldat s'y connaît, et, lorsqu'ils sont bien postés, l'on s'en aperçoit d'abord à leur gaieté et à leurs propos. Toutes ces choses sont fort sujettes à caution, et l'on ne peut s'en garantir que par les avantages que l'on peut tirer des situations que le pays où l'on se trouve peut fournir. Comme il ne m'est pas possible de les former comme ils devraient être, j'en tire le parti que je puis, et je tâche de ne rien donner de capital au hasard.

Malgré cela, notre position est établie sur des principes solides. La prise de Namur nous fournit les moyens de porter la guerre au sein de la Hollande, la campagne prochaine; et si nous avions un échec, à quoi il faut toujours s'attendre, il ne serait pas d'une conséquence bien grande. La première place arrêterait assez nos ennemis pour nous donner le temps de nous reconnaître; car vraisemblablement nous les défendrions un peu mieux qu'ils ne font, et il faut qu'ils en prennent plusieurs avant de nous ramener d'où nous sommes partis; cela pourrait bien enfin les ennuyer. V. M. trouvera peu de brillant dans cette méthode de faire la guerre, et je ne l'adopte pas dans tous les cas. La campagne prochaine me fournira peut-être les moyens d'assiéger encore une place ou deux pour assurer nos derrières, nos subsistances, nos convois; et puis je crois qu'il sera à propos d'opérer par incursion. Pardonnez, Sire, si j'ose hasarder mes opinions devant un juge aussi éclairé que l'est V. M. J'en connais tout le danger; mais vous avez ordonné, Sire, que je vous disse mes <307>pensées et les raisons de ma conduite, que je soumets avec timidité à votre jugement.

6. A MAURICE DE SAXE.

Charlottenbourg, 3 novembre 1746.



Monsieur le maréchal,

La lettre que vous me faites le plaisir de m'écrire342-a m'a été très-agréable; je crois quelle peut servir d'instruction pour tout homme qui est chargé de la conduite d'une armée. Vous donnez des préceptes que vous soutenez par vos exemples, et je puis vous assurer que je n'ai pas été des derniers à applaudir aux manœuvres que vous avez faites.

Dans les premiers bouillons de la jeunesse, lorsqu'on ne suit que la vivacité d'une imagination qui n'est pas réglée par l'expérience, on sacrifie tout aux actions brillantes et aux choses singulières qui ont de l'éclat. A vingt ans, Boileau estimait Voiture; à trente ans, il lui préférait Horace.

Dans les premières années que j'ai pris le commandement de mes troupes, j'étais pour les pointes;342-b mais tant d'événements que j'ai vus arriver, et auxquels j'ai eu part, m'en ont désabusé. Ce sont les pointes qui m'ont fait manquer ma campagne de 1744; et c'est pour avoir mal assuré la position de leurs quartiers que les Français et les Espagnols ont enfin été réduits à abandonner l'Italie.

J'ai suivi pas à pas votre campagne de Flandre, et, sans que <308>j'aie assez de présomption pour me fier à mon jugement, je crois que la critique la plus sévère ne peut y trouver prise.

Le grand art de la guerre est de prévoir tous les événements, et le grand art du général est d'avoir préparé d'avance toutes les ressources, pour n'être point embarrassé de son parti lorsque le moment décisif d'en prendre est venu.

Plus les troupes sont bonnes, bien composées et bien disciplinées, moins il y a d'art à les conduire; et comme c'est à surmonter les difficultés que s'acquiert la gloire, il est sûr que celui qui en a le plus à vaincre doit avoir aussi une plus grande part à l'honneur.

On fera toujours de Fabius un Annibal; mais je ne crois pas qu'un Annibal soit capable de suivre la conduite de Fabius.

Je vous félicite de tout mon cœur sur la belle campagne que vous venez de finir; je ne doute pas que le succès de votre campagne prochaine ne soit digne des deux précédentes. Vous préparez les événements avec trop de prudence pour que les suites ne doivent pas y répondre. Le chapitre des événements est vaste; mais la prévoyance et l'habileté peuvent corriger la fortune.

Je suis avec bien de l'estime

Votre affectionné ami,
Federic.

7. AU MÊME.

(1749.)

J'aurais désiré, mon cher maréchal, de vous faire passer le temps plus agréablement que vous ne l'avez fait.344-a Je vous avoue que j'ai préféré les intérêts de ma curiosité et la passion de m'instruire aux attentions que j'aurais dû avoir pour votre personne et pour votre santé. Je vous fais mes excuses de vous avoir tenu si long<309>temps assis, et de vous avoir fait veiller au delà de votre coutume; j'ignorais que cela pût vous incommoder. Je suis si bon allié de la France, que, bien loin de vouloir ruiner la santé de ses héros, je voudrais leur prolonger la vie.

On parlait, ces jours passés, d'actions de guerre, et on agitait cette question rebattue, savoir, laquelle des batailles gagnées faisait le plus d'honneur au général. Les uns disaient que c'était celle d'Almanza,344-b d'autres se déclaraient pour celle de Turin. Pour moi, je fus d'avis que c'était la victoire qu'un général à l'agonie avait remportée sur les ennemis de la France.344-c

Je passe sous silence les choses obligeantes que vous me dites. Le but de la plupart de nos actions est de mériter l'approbation des gens de bien et des grands hommes. Si j'ai gravé dans votre mémoire le souvenir de mon amitié, c'est tout ce que j'ai prétendu y mettre. Les talents égalent les particuliers aux rois, et, pour ne rien dissimuler, les avantages du mérite effacent souvent ceux de la naissance. Je ne vous souhaite que de la santé : il n'est aucune sorte de gloire dont vous ne soyez comblé, etc.

F.


335-a La Victoire de Soor, remportée le 30 septembre 1745. Voyez t. III, p. 151-159.

337-a Allusion à la bataille de Kesselsdorf, qui avait eu lieu le 15 décembre 1745. Voyez t. III, p. 184-189.

338-a Dans les Lettres et mémoires choisis parmi les papiers originaux du maréchal de Saxe, Paris, 1794, t. II, p. 200, cette lettre ne porte que la date inexacte : Du 19 mai 1746.

342-a La lettre du maréchal de Saxe dont le Roi parle, datée du camp de Tongres, le 14 octobre 1746, et contenant un rapport sur la bataille de Rocoux, est purement militaire; c'est pour cela que nous ne l'imprimons pas ici. Elle se trouve dans les Lettres et mémoires choisis parmi les papiers originaux du maréchal de Saxe, t. III, p. 272-275. Le manuscrit original en est conservé aux archives du grand état-major de l'armée, à Berlin.

342-b Voyez t. III, p. 65 et 98, t. VII, p. 91, et la lettre de Frédéric au marquis d'Argens, du 28 mai 1759.

344-a Le maréchal de Saxe vint à Berlin le 13 juillet 1749; il logea à l'hôtel Vincent (voyez t. X, p. 99), et se rendit le 15 à Sans-Souci. Il partit pour Dresde le 16. Le Roi lui avait donné son portrait et une tabatière de prix.

344-b En 1707. Voyez t. X, p. 314, et t. XI, p. 192.

344-c Voyez t. III, p. 110 et 111.