105. A M. JORDAN.

Selowitz, 19 mars 1742.

J'ai reçu votre seconde lettre en vers et en politique; elle est charmante, et je crois qu'il n'y a que vous qui puissiez dire de <159>jolies choses sur .... Cependant cela n'est pas étonnant, car vous possédez parfaitement bien cette matière, et l'on voit même que vous sentez ce que vous dites.

A Vienne, sur les toits perchés
Et s'armant de longues lunettes,
Les gens à la cour attachés
Lisent leur sort dans les planètes.
Une comète s'est fait voir;
Le sexe, qui veut tout savoir,
Demande : Comment l'a-t-on vue?
— Très-flamboyante et chevelue.
L... dit, se laissant choir :
« Dans sa queue était mon espoir;
On n'en voit point, je suis perdue. »

De là les politiques concluent que le moment fatal à la maison d'Autriche ne tardera guère à venir, et que tout est perdu pour eux.

Il est bien sûr que nous aurons une bataille; il se pourrait même que ce fût l'anniversaire de Mollwitz. Je ne vous dis point ceci pour vous effrayer, mais parce que la chose est vraie, et qu'elle ne saurait manquer. J'ai meilleure espérance que jamais, et je crois être sûr de mon fait, autant qu'on peut l'être en choses humaines.

Envoyez-moi un Boileau, que vous achèterez en ville; envoyez-moi encore les Lettres de Cicéron, depuis le tome III jusqu'à la fin de l'ouvrage, que vous achèterez de même; il vous plaira de plus d'y joindre les Tusculanes, les Philippiques, et les Commentaires de César.

Adieu, Jordan. Je vous embrasse de tout mon cœur, en priant Dieu de vous avoir en sa bonne et sainte garde. Mes compliments à mes amis.